[Sâté ramòna] (loc. verb. CHAN.)
Si vous êtes né pendant les années 30 (celles du XXᵉ siècle bien entendu) vous avez entendu chanter Ramona plus d’une fois. C’est que Fred Gouin, ancien môme Marjolaine qui chantait dans les rues, est un sacré phénomène avec sa voix capable de passer par tous les répertoires. Alors quand le gonze entonne Ramona avec ses « r » qui roucoulent au fond de la gorge, ça chouine dans les chaumières :
🎼🎶Depuis le moment
Où je t’ai connue
Hélas follement
Je n’ai pas cessé
De penser à toi
Comme un insensé🎶🎶
Et surtout c’est le succès.
Gouin disparu, c’est Tino Rossi, nouvelle icône qui lancera chanteur de charme comme expression (et permettra grâce à son succès planétaire à des générations entières d’adolescents français de jeter leur gourme sur les petites anglaises, américaines, etc.), qui reprend le flambeau et nous chante Ramona en 1971.
A priori tout va pour le mieux pour la chanson française qui ne parle que d’amour éperdu, de tendres enlacements et d’amoureux déchus par une belle cruelle.
Aucun chercheur ne saurait affirmer fermement comment se faire chanter Ramona est ensuite devenu se faire remonter les bretelles, se faire appeler Arthur, bref se faire sermonner.
Rien dans la structure des paroles ne laissait présager ce glissement. Rien non plus dans les différentes interprétations, chacun chantant ces rimes à sa blonde pour qu’elle se décide enfin à venir vers celui qu’elle aime vraiment.
S’il est évident que l’expression évolua par antiphrase, aucun événement saillant ne peut dater ou expliquer cet étrange changement, si ce n’est l’ironie argotique des faubourgs qui aurait alors décidé que l’amour s’inversait en semonce.
Le louchébem gouailleur des garçons bouchers des halles de La Villette virés en 1974 est peut-être le moteur de la transformation : l’homme est viril et fort en gueule et il préfèrera monter la voix plutôt que de conter fleurette. La thèse se tient.
Quel diablotin aujourd’hui suranné n’a pas entendu chanter Ramona pour un bulletin de notes un peu trop imparfait ? Quel rebelle à l’ordre établi et pris par la patrouille n’en a pas ouï le refrain ? Se faire chanter Ramona est l’essence même de la sanction et pourquoi ne le ferait-on pas en chanson ? Quitte à passer du temps au cachot ou au coin comme un aliboron, autant que l’orchestre termine sa partition et le chanteur sa roucoulade.
Le héros de la guerre a bien son Chant des partisans, la patrie glorieuse sa martiale Marseillaise, même l’ASSE faisait chanter la France avec Allez les Verts¹, alors l’enguirlandé a bien droit de se faire chanter Ramona !
On est en France, diantre, et tout se finit en chanson par ici.