[Sasé le brujar] (expr. ouvr. VIN.)
Au temps du suranné déjà se trouvent des bons chasseurs et des mauvais chasseurs pistant diverses sortes de gibiers.
On peut en croiser partant la fleur au fusil chasser le dahu, d’autres à l’affut d’un trophée naturel (qui reviendra au galop quoi qu’il en soit), de plus libidineux chassant la caille coiffée, et des superstitieux armés d’une Pierre du Nord pour chasser le mauvais œil.
Au-dessus de cette mêlée un peu fourre-tout trône l’esthète du quotidien qui lui chasse le brouillard.
Sachant chasser sans son chien il est là, paisiblement accoudé au comptoir, alors que le soleil se lève. Il écoute l’analyse turfistique de la performance de Fandango dans la troisième à Vincennes, un ballon de Chablis à la main. C’est ainsi équipé qu’il chasse le brouillard.
Boire un petit verre de vin blanc le matin se dit en effet chasser le brouillard dans le langage du ripeur matinal ou de l’OS de Billancourt, en référence à cet endormissement qui doit s’évanouir pour permettre leur travail difficile. Car ce petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles quand les filles sont belles du côté de Nogent, on peut aussi s’en humecter le palais dès potron-minet pour effacer en un instant les dernières volutes nocturnes¹
Cette France qui se lève tôt va faire le succès de chasser le brouillard et de l’industrie vinicole. Il est cinq heures Paris s’éveille, le café est dans les tasses et le Bourgogne n’est pas bien loin. Tous les matins dans les rades de Pantruche et d’ailleurs on chasse le brouillard avec la ténacité du trappeur du Grand Nord. Quitte à y laisser sa santé².
Et c’est avant tout parce que le travail c’est la santé – et la santé c’est important – que le moderne va faire cesser ce chasser le brouillard.
L’expression beaucoup trop usitée est interdite et des mesures promouvant la mesure en pinard, en amour et autres fantaisies sont prises. Avec modération par ci, avec précaution par là : l’abus n’a plus sa place.
Hors travail bien entendu, mais ceci est une autre histoire.