[Sé bòrnjòl] (n. pr. OBSEQ.)
On peut considérer comme une gloire patronymique la mutation d’un nom de famille en expression. Du on n’est pas chez Bocuse marquant la différence de qualité de mets proposés d’avec celle de ceux du triple étoilé, à être comme l’âne de Buridan en passant par faire un inventaire à la Prévert, c’est un peu l’âme du sus-nommé qui resurgit à chaque fois, y compris quand il est encore bien vivant comme c’est le cas du maître de la cuisine française, et on aime user de leur prestige dans la conversation.
Il existe comme en toute chose de la langue de Molière (tiens, encore une autre), une exception qui viendra donc confirmer la règle comme on vous le répète depuis le CE1: Borniol.
Borniol est l’exception en question. Ou plus précisément chez Borniol.
Même si aucune étude n’a pu être effectuée chez les clients de la maison Borniol, créée par Henri de Borniol en 1820, nous sommes en mesure d’affirmer sans crainte d’être contredits que nul n’est jamais très heureux de se retrouver chez Borniol.
La plus vieille maison française de pompes funèbres et de protocole funéraire, fleuron de la mise en bière et de la pose d’imposantes tentures noires qui vont jusqu’à porter son nom, est en effet le cœur battant d’une expression pour cœur flanchant. On proposera d’aller se faire voir chez Borniol à un contradicteur auquel on ne souhaite que la fin, on dira d’un malade qu’il est dans l’antichambre de chez Borniol quand les médecins useront de mots compliqués et de périphrases tordues pour décrire son état, et la maison poulaga attendra les emballeurs de chez Borniol sur les lieux du crime crapuleux.
Depuis deux siècles Borniol conduit en limousine de prestige les défunts chics vers leur Père Lachaise final, aux côtés de Marcel Proust, Jim Morrison, Oscar Wilde ou Molière, vers leur cimetière du Montparnasse pour y retrouver Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Charles Baudelaire, Robert Desnos, Samuel Beckett, Serge Gainsbourg, Philippe Noiret et tant d’autres.
Il faut vous dire que se faire accompagner pour un dernier voyage selon la pompe travaillée par Borniol depuis la Restauration a un prix. On n’utilise pas les mêmes services que ceux dévolus au Général de Gaulle, à Georges Pompidou, aux cendres de Jean Moulin, pour des clopinettes ! Borniol ça se mérite, et il vaudra mieux économiser de votre vivant si vous souhaitez faire appel au fournisseur de Dalida et Claude François quand il s’agira de trépas.
Une certaine désaffection moderne pour le faste funéraire a cependant mis un frein à l’expression de chez Borniol. Si les affaires de la maison se portent toujours bien, l’utilisation de son nom est devenu nettement surannée, voire même n’inspire plus ni silence contrit ni même mine affligée. Essayez de placer chez Borniol et vous pourriez aller jusqu’à provoquer l’hilarité, ce qui est mal venu lors d’un enterrement selon les convenances contemporaines.
Encore que… Je vous autorise présentement à bien vous boyauter quand à mon tour je serai chez Borniol¹.