[Sé vòtre diskèːr] (form. rit. MP3.)
La réclame (ou publicité, ou communication à caractère commercial) dont la fonction principale consiste en la provocation en apparence spontanée d’une irrépressible envie de consommer un bien ou un service possédant un caractère d’indispensabilité tout relatif, est l’un des secteurs langagiers les plus créateurs et créatifs de mots et expressions.
Selon l’alchimie instable et conjuguée des caractères dudit produit (ou service) et de la plume d’un concepteur-rédacteur¹, elle nous donnera des chefs-d’œuvre ou d’immondes verbiages qui feront sa gloire ou son humiliation².
La réclame est aussi la marque de son époque et l’on sait que l’époque en question est devenue moderne quand elle ne conclut plus aucune promotion discographique de quelque qualité qu’elle soit par un complice et enjoué : à découvrir chez votre disquaire.
Eh oui, chez votre disquaire n’est plus.
Au temps du suranné, c’est à dire entre 45T et 33T, ère secondaire du vinyle, chez votre disquaire était une formule rituelle incitative à l’accomplissement d’un acte d’achat de disque.
Elle fonctionnait de façon quasi automatique, déclenchant subitement le besoin de se procurer le dernier album des Clash, un 45T d’Alain Chamfort, un maxi 33T de Kool and the Gang voire même un classique et toujours de bon goût double album live des Eagles. Mû par la puissance de l’incantation chez votre disquaire, le jeune prenait sa Bleue et n’hésitait alors pas à se rendre dans une boutique – dite « disquaire » – pour y assouvir ses besoins consuméristes.
On mesurera avec quelques années de recul le pouvoir de chez votre disquaire à l’aune de cette transhumance massive qui faisait se rassembler des dizaines de boutonneux en Perfecto et chaussettes Burlington sur la simple foi de ses trois mots magiques.
Selon de tatillonnes recherches, chez votre disquaire aurait disparu en juillet 1998, réduite à la portion congrue par eMusic, première expérience de vente sur l’internet de musique. Deux coups de grâce assénés par Napster³ en juin 1999 et KaZaA³ en septembre 2000 abrégeront les derniers soubresauts de chez votre disquaire, allant plus tard jusqu’à la remplacer par l’apposition de logotypes signifiant pour le djeun’s, et lui permettant, sans se déplacer avec sa Bleue et sans croiser d’autres boutonneux, de se procurer dans l’instant la dernière tentative vocale d’un blondinet tatoué de bas en haut ou les onomatopées jouisseuses d’une poupée aux qualités plastiques inversement proportionnelles à ses capacités phonatrices.
Là où se localisait chez votre disquaire (oui, là-même à la place de ma mob) a même surgi un café franchisé qui vend des boissons compliquées à commander et servies dans des gobelets en cartons sur lesquels est étrangement orthographié mon prénom pourtant simple. Il y a du Wifi, signe de civilisation, et on peut se connecter sur l’iTunes pour acheter un album.
Pour un peu on se croirait chez notre disquaire.