[Sikopakobakawana] (n. prop. AMAZON.)
31 août de l’année surannée 1978. Les vacances scolaires touchent à leur fin. L’ennui point pour les écoliers qui attendent la rentrée, aussi ils regardent la télé. En sept épisodes de quinze minutes, TF1 va bouleverser la jeunesse de France, la traumatisant à tout jamais pour la plus grande partie, faisant éclater au grand jour ses envies exploratrices pour ma part.
En cette époque révolue l’approche pédagogique est brute, dénuée de toute précaution et l’on se préoccupe bien peu d’images étranges et d’histoires biscornues : alors à l’heure de grande écoute, dans les émissions pour les enfants, on parle tsantsas !
Dès le générique l’effroi ou la fascination. Une tête aux longs cheveux de jais, aux dents blanches, à la moustache parsemée quasi adolescente¹, roulant des yeux à la fois torves et agiles, s’agite légèrement en psalmodiant une chanson sur fond de flûte de pan. Elle n’est de toute évidence reliée à aucun corps et ses spasmes musicaux ont beau être enjoués, ils semblent cacher un secret.
Chicopacobakawana est le nom de complet de Chico, ancien sorcier Jivaro âgé de plus de deux mille ans qui continue à exercer sa spécialité loin de son pays d’origine, réduit à sa seule trombine elle-même réduite selon les méthodes traditionnelles des indiens d’Amazonie. Le pouvoir de Chicopacobakawana c’est celui de faire tomber la pluie et avec ça il résout tous les problèmes (il fallait bien être anglais pour imaginer une histoire pareille, ça tombe bien elle est produite par Public Broadcasting Service). En sept épisodes, Chris et Jill, les deux jeunes héros de la série vont aider Chicopacobakawana à rentrer chez lui pour qu’il puisse faire pleuvoir sur les terres de sa tribu. Des méchants tenteront bien de les en empêcher mais Chicopacobakawana est un grand magicien.
Sept fois quinze minutes, soit cent cinq au total à regarder s’agiter une tête réduite chantant de sa voix nasillarde des paroles qui rappellent curieusement celle de Kaa, le python maléfique du Livre de la jungle (version Disney car chez Kipling il est un ami de Mowgli), voici de quoi donner du grain à moudre à des générations de psychologues et de psychanalystes. Où étiez vous alors ligues vertueuses de défense de l’enfance quand ce sombre dessein s’agitait sur le petit écran ? Trop occupées certainement à combattre Goldorak que vous jugiez violent², ou vérifiant l’adresse exacte de 1 rue Sésame qui débarquait alors ?
Les théoriciens du complot verront dans l’irruption incontrôlée de Chicopacobakawana un message subliminal de la télévision française sur la division du corps consommateur en parts de marché et en temps de cerveau à vendre, La tête et les jambes (émission phare d’Antenne 2 créée en 1957) venant de tirer le rideau en juin de cette même année, mais nous ne saurions faire écho à ces thèses en ces lignes.
La série ne sera plus jamais diffusée, se rangeant de fait quasi instantanément au rayon des reliques indignes que la poussière du suranné viendra couvrir de son oubli. Qu’importe : je serai explorateur.
La tsantsa a éveillé ma vocation de chercheur de problèmes, mais ceci est une autre histoire.