[Sifmòl] (n. com. LÂCH.)
La veulerie, la lâcheté et la mollesse n’ont pas disparu avec les temps entrés dans la modernité, loin s’en faut. Elles affectent toujours nombre de mes contemporains. Je ne donnerai pas de noms, à quoi bon, mais s’ils passent par ici ils se reconnaîtront (aucun risque cependant, la lecture de ce genre d’âneries n’est pas dans leurs coutumes). En l’an de grâce quatorze cent et des poussières, c’est déjà avec un chiffon sans valeur et sans forme qu’on chasse les particules insignifiantes, les moutons, les broutilles, les cendres, les poussières. Et l’on dénomme la chose une chiffe. Eh oui, ça vous en bouche un coin mais le Moyen-Âge s’essaye à être propre et fait fuir la saleté. Si vous en aviez une image crasseuse et boueuse sachez que le châtelain est soigneux.
C’est donc au XVᵉ siècle que naît le presque rien, l’inconsistant, la chiffe. Le mou du genou viendra dans la foulée apporter son caractère sans relief pour unir chiffe et molle. Notons qu’en cette époque à la grammaire misogyne le genre féminin renforce l’opprobre déjà portée par l’adjectif. Plutôt que chiffon-mou ce sera donc chiffe-molle pour les hommes de la poesté.
Combats virils et exploits guerriers aidant, du siège d’Orléans par la perfide Albion au pont d’Arcole traversé en avant par celui qui deviendra Napoléon, la chiffe-molle tombe en quenouille et se recroqueville en surannéité. Dans un pays qui dès 1946 comptera près de quarante millions de résistants à la barbarie la chiffe-molle n’est plus au goût du jour. Pour l’homme. La femme, elle, doit toujours épousseter; elle est même faite pour ça.
Et puis soudain, en 1958, surgit un gros balèze à tee-shirt moulant, crâne luisant et boucle d’oreille rebelle, qui se met à agiter la chiffe pour rendre chaque meuble de la maison si propre que l’on peut se voir dedans. Une fois de plus c’est le marketing qui vient briser les codes, mélangeant malignement virilité exacerbée et contre-emploi des qualités supposées. Parce que le costaud en question fait le ménage. Ne cacherait-il pas sous ses pectoraux surdimensionnés un caractère de chiffe-molle se questionne-t-on chez les mâles de l’époque ? Nul n’a cependant le cran d’aller en discuter directement car le mastar n’a pas l’air très commode.
Qu’on se rassure, astiquer les casseroles ou faire briller les parquets n’a jamais transformé quiconque en chiffe-molle. Il se dit même que Monsieur Propre n’a jamais autant séduit les femmes qu’aujourd’hui.
Je vous laisse j’ai entraînement de plumeau.