[Syt a larjèːr] (exclam. TOUR.)
Il est des expressions désuètes « à cycle ». Non qu’elles concernent le cyclisme mais plutôt vivent-elles selon un cycle de résurgence et de disparition. Cela dit elles peuvent concerner le cyclisme. Ce qui est d’ailleurs le cas de celle que nous sortons de sa naphtaline en ces lignes.
Depuis plus de 100 ans, le mois de juillet s’entend répéter, parfois en hurlant, chute à l’arrière ! Exclusivement réservée aux juillettistes campés devant les exploits télévisés des forçats de la route, chute à l’arrière est une rengaine qui nous provient des fins fonds du peloton, là où la lanterne rouge est ses comparses de galère s’étalent, épuisés, sur le bitume fumant des routes de France.
Chute à l’arrière a pour origine le langage imagé de Jean-Paul Ollivier, dit Paulo la Science, commentateur pointu sur les questions vélocipédiques possédant en sus un timbre de voix idéal pour faire la sieste, volets demi-fermés, écrasés par la chaleur ambiante. Chute à l’arrière nous sort alors de notre torpeur spectatrice et, l’œil torve, nous contemplons l’amas de jambes, cadres de cycles, roues, qui résulte de la chute susmentionnée. Ainsi, pendant des dizaines d’années désormais surannées¹, Jean-Paul nous a-t-il interrompu dans nos rêveries digestives avec son chute à l’arrière.
Ne mentons pas à nos lecteurs : c’est la souffrance qui fait l’intérêt du cyclisme et la fameuse chute à l’arrière en est la quintessence puisqu’en sus de sa violence elle a pour bon goût télévisuel de concerner les derniers, autrement dit ceux qui sont déjà en détresse et qu’on pourra filmer longuement puisqu’il n’y a pas d’autres coureurs qui viendront gêner le spectacle.
La chute à l’arrière est cette indécence esthétique du direct télévisé, moment privilégié de la quête de disponibilité consumériste par le sponsor maillot (c’est à dire l’entreprise qui a décidé de payer des millions pour que des mecs valdinguent à toute berzingue en montrant bien le logo qui les nourrit).
De panem et circenses chute à l’arrière est la petite musique, le jingle en quelque sorte.
Forme cyclique oblige (cf. princeps) chute à l’arrière ne survit jamais à l’été et file très vite en surannéité, pour renaître l’année suivante, du moins tant que Jean-Paul Ollivier est aux commentaires². Cette forme rarissime de suranné périodique existe en très peu d’expressions; aussi est-elle à préserver délicatement.
Chute à l’arrière est un véritable monument.