[kòlêmajar] (n. pr. JEU)
“Mais comment faisiez-vous à votre époque lointaine pour bien vous amuser ? ” questionnent souvent les modernes les plus jeunes, l’air dubitatif qu’on puisse sans Wifi envisager un instant quelque distraction qui soit. En prenant l’air sérieux du Père Castor qui va leur raconter une histoire, le vieux con suranné leur répondra alors : Colin-maillard mes enfants.Le jeu avait pourtant mal commencé pour ce brave Jean Colin dit Colin-maillard parce qu’il maniait le maillet sur les champs de bataille de sa principauté épiscopale de Liège, État du Saint-Empire romain là-bas en Westphalie. Jean Colin-maillard s’était en effet retrouvé sans l’usage de ses yeux, les billes ayant été crevées par quelque ennemi belliqueux lors d’un combat au cours de la bataille de Florennes, le 12 septembre 1015 (elle opposait comme chacun sait Lambert Iᵉʳ de Louvain et Godefroy de Basse-Lotharingie). Viser les yeux n’est pas très « art de la guerre » mais je crois que le Bas-Lothier ne lit pas Sun Tzu et qu’il a tendance à taper partout où il le peut.
Ce bougre d’âne de Colin-maillard avait continué à se battre, guidé par un valet, moulinant à qui mieux mieux avec son maillet et remportant un succès militaire suffisamment estimable pour qu’il devint célèbre et qu’on transforma dans les cours son baroud d’honneur en jeu pour damoiseaux et jouvencelles.
Dès lors, Colin-maillard consista à toucher du visage pour deviner à qui il appartient, un bandeau opaque sur les yeux. Au passage on avait décidé de laisser le marteau au rebut, jugé trop dangereux.
Autant dire que le jeu (qui était alors d’adultes), servait surtout à tripoter de la donzelle qui ne rechignait pas à la tâche si l’aveugle momentané possédait quelques terres et pièces d’or, titres pompeux et entrées dans le beau monde. Évidemment ces viles mœurs ont bien changé et aujourd’hui c’est l’amour et lui seul qui unit les mariés.
L’inconsistant qui ne parvenait pas à trouver à qui était ce joli nez retroussé, cette bouche charnue, ce parfum délicieux, était marqué au cirage noir sur le visage en gage de sa piètre observation des charmes de ces dames ou messieurs. On criait d’ailleurs à celui qui était sur le point de se prendre les pieds dans le tapis et de finir quatre fers en l’air dans les buissons « gare le pot au noir » en guise d’avertissement avant chute.
Bon an mal an, Colin-maillard fut le ludique entremetteur de belles ou décevantes rencontres, nous ne possédons pas de statistiques précises sur la chose.
Aujourd’hui qu’il a filé au suranné les visages ne se caressent plus à l’aveugle avant de se connaître, les parfums ne s’annoncent plus c’était trop indécent¹, et l’on ne passera pas une main dans les cheveux d’une inconnue ! Un peu de retenue, que diantre !
C’est dommage, une âme sœur ne se reconnaît bien que les yeux bandés.