[kɔmɑ̃ sa va la ptit sɑ̃te ?] (quest. intro. TF1)
Le 9 décembre 1975, l’un des pontes du langage voue à la surannéité une phrase du quotidien le plus banal qui soit en en faisant son incipit interviewesque. C’est là l’un des rares cas de désuétude spontanée.
Étudions-le.
Comment ça va la p’tite santé ?, ose un Pierre Desproges costumé gris-pattes-d’éléphant en journaliste bidon taillant la bavette avec une Françoise Sagan extraordinaire de bienveillance. Et d’enchaîner sur la qualité du tissu de la robe de la dame qui lui répond que « non ça ne peluche pas et que pour la laver elle la met chez le teinturier ».
Membre du groupe des questions n’appelant surtout pas à la réponse (ou questions rhétoriques), comment ça va la p’tite santé était née peu après le Corpus hippocratique dont le Serment, rédigé au IVᵉ siècle, demeurera pendant des centaines d’années la clef de voûte de l’éthique médicale. On peut sans risque de s’égarer affirmer que l’on se donne du comment ça va la p’tite santé depuis mille six cents ans environ quand l’olibrius envoyé spécial de TF1 aggrave son cas en le posant devant « la Mademoiselle Chanel de la littérature ».
Jusqu’alors interrogation commerciale préférée du maraîcher à l’endroit de toutes ses clientes de plus de soixante ans, comment ça va la p’tite santé va devenir inutilisable en moins de temps qu’il ne faut pour répondre, grâce au succès du Petit Rapporteur qui diffuse la farce.
En effet, dès le lendemain c’est la panique dans les commerces de proximité : le boucher, perturbé, passe sa journée avec des « on a le beau temps aujourd’hui » alors que ce mois de décembre enregistre 3,6° C de moyenne à Paris-Montsouris, le boulanger, paniqué, bredouille des âneries sur la qualité de ses miches qu’il invite à tâter. Sur les marchés, dans les transports en commun, les ascenseurs, c’est une Saint-Barthélemy du bavardage, un carnage pour la causerie.
Des milliers de conversations échouent faute d’avoir pu débuter sur un comment ça va la p’tite santé dont chacun a bien compris qu’elle était une introduction désormais surannée.
Elle sera rejointe quelques années plus tard par vous habitez chez vos parents ?, autre formule que l’amusant susnommé consignera (comme par hasard) dans son Manuel de savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis qui ne conquerra malheureusement pas les lecteurs pourtant cités en titre. Mais ceci est une autre histoire.