[la kôsjèrZ è dâ lèskaljé] (gr. verb. ECRIT.)
Il est de coutume dans tout ouvrage savant digne de ce nom de mettre en exergue telle ou telle citation d’un grand. Nous ne saurions dans ces infiniment modestes pages nous soustraire à ce rite, bien que de savant nous n’ayons aucunement le rang.
Voici donc un extrait de Voyage au bout de la nuit :
«Une ville sans concierge, ça n’a pas d’histoire, pas de goût, c’est insipide telle une soupe sans poivre ni sel, une ratatouille informe. »
Ce diable de Louis-Ferdinand avait raison. Une ville sans concierge est une ville livrée à elle même, sans repères ni système. La concierge est le ciment de l’urbanisme vertical : qu’elle s’efface et la tour de Babel s’écroule.
Quand simplement, la concierge est dans l’escalier, la peur est sur la ville; d’où l’importance du panonceau qui nous indique, pragmatique, de ne pas céder à la panique car bientôt l’ordre régnera à nouveau. La concierge est dans l’escalier est là pour rassurer : ce n’est pas grave, elle va reprendre son poste en loge.
Dès le XVIIIᵉ siècle, la concierge est dans l’escalier nous signale l’absence momentanée de l’acariâtre vigie pour une ronde ménagère qui la mènera jusqu’au faîte de la sous-pente, pour une distribution de plis ou un rappel au règlement d’un vendeur représentant placier passé par la porte de derrière plutôt que la porte cochère.
La concierge est dans l’escalier est aussi un message d’alerte car normalement, la concierge est dans sa loge, contrôlant les allées et venues et surtout s’astreignant vingt quatre heures sur vingt quatre au tirage de cordon, cette charge consistant à ouvrir la porte aux habitants à toute heure du jour et de la nuit. Si la concierge est dans l’escalier cela signifie qu’il nous faudra l’ouvrir nous-même, voire patienter qu’elle redescende pour actionner le mécanisme !
En 1874 on compte plus de soixante deux mille petits panneaux la concierge est dans l’escalier (pour autant de concierges) rien qu’à Paris. De carton ou d’émail (selon les arrondissements) ils sont imprimés avec une typographie de belle forme, la Bodoni et la Clarendon menant le bal.
En 1940, 85 000 concierges sont dans l’escalier (tandis que d’autres se cachent à la cave mais ceci est une autre histoire). Il leur faudra attendre 1947 pour que soit supprimé le fameux cordon et dix ans de plus pour avoir droit au repos hebdomadaire.
Le premier interphone naît en 1952. Système de liaison téléphonique moderne intérieur à l’immeuble, permettant d’interpeller n’importe quel habitant depuis la rue, installé conjointement à des boîtes aux lettres normalisées type NF D 27404 et NF D 27 405 conformément à l’arrêté n°1802 du 29 juin 1979, il est le croc-en-jambe vicieux qui va faire trébucher la concierge dans l’escalier.
L’interphone grésillant rend désuète la concierge et suranné l’écriteau annonçant que la concierge est dans l’escalier. Qu’y ferait-elle la bougresse ?
Allez hop, du balai !
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