[kɔnwasœʁ] (n. m. ESTH.)
Un mot peut s’avérer suranné dans une forme ancienne et actuel dans une forme moderne. Pour celui que voici la différence ne tient qu’à une lettre, mais une lettre qui fait tout. Un « o » et il est désuet, un « a » et il est d’aujourd’hui. La chose est rare, à tout vous dire je n’en connais pas d’autre cas.Il se dit dans les cénacles sachants que de « o » à « a » il passa en 1835 comme quoi même en temps suranné on peut s’essayer à la modernité. En cette année qui vit la comète de Halley atteindre le perihelion (mais n’y voyons pas pour autant un rapport direct de cause à effet, nous risquerions de basculer dans la théorie du Grand Complot), ceux qui appréciaient, ceux qui aimaient, les esthètes, les gourmets, étaient des connoisseurs. Oui ma bonne dame, des connoisseurs en français dans le texte. Ça avait tout de même une autre gueule que celle du connaisseur moderne, non ?
Le connoisseur est souvent pris pour un dandy parce qu’il apprécie. En cela bien vite il est honni. Son goût subtil pour la chose raffinée en fait un ennemi de la civilisation tayloriste industrielle qui aime à standardiser pour pouvoir produire en masse et rentabiliser. Le connoisseur cet érudit peut passer pour prétentieux s’il use par trop de son bagout pour exposer tout son bon goût. Et s’il en vient à faire parler son intuition il finira sur le bûcher, au mieux cloué au pilori le temps qu’il enregistre qu’en notre époque l’esprit critique n’a guère d’écho chez ses contemporains. Oui mes amis, désormais il ne fait pas très bon la ramener et mieux vaut nager dans le sens du courant (majoritaire) pour vivre paisiblement.
En devenant un connaisseur notre trop maniéré connoisseur s’est rangé dans la majorité. Il a pu ainsi peu à peu apprécier les Jeff Koons, il s’est mis à écouter des chansons créativement braillées par des talents télévisés, il a dit déguster des cuisines insipides, il s’est vu boire du vin en canettes. Mieux encore il s’est mis à gloser sur ces choses, après tout il est un connaisseur, et tel un prosélyte représentant de son idole déiste, le pied bien coincé dans la porte, nous vanter les mérites de la facilité. Le connaisseur vit désormais sur les plateaux de télévision, nous assénant les dogmes de son savoir et du goût qu’il sait sûr puisque qu’il est celui du plus grand nombre.
Qui eut cru qu’en passant du « o » au « a » le connoisseur tomberait de haut en bas ? Je vous le dis, méfiez vous de la moindre lettre qu’on prétendrait vous faire économiser, du moindre accent circonflexe ou tréma qu’on jugerait inutile : leur extermination cache un plus sombre dessein. L’absence de nuance et de sens nous entraîne vers l’abîme et finira par nous faire confondre un Modigliani avec une croûte Photoshopée, un Romanée Conti avec un soda vitaminé. Ce serait la fin vous en conviendrez.
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