[kôsòlé sô kafé] (gr. verb. CAF.)
Parmi les rituels initiatiques pour marmots dévolus aux aïeux n’ayant plus de comptes à rendre au sérieux, se trouve celui de la première goutte de gnôle, généralement cachée dans un liquide dont l’absorption ne troublera pas la morale parentale qui veille au grain.
Conformément à ce principe, le jeune innocent et niaiseux découvrira à la fin d’un déjeuner dominical des plus banals, qu’on dissimule derrière l’expression consoler son café l’art de le corriger, ou caffè corretto comme chantent les rossignols milanais, la correction se jaugeant en degrés Gay-Lussac (généralement élevés).
Jusqu’alors le naïf ne comprenait pas ce chagrin du café dont il entendait parfois parler, qu’il soit expresso, allongé, macchiato, à la turc, sauf à imaginer qu’il se languisse de ses hauts plateaux d’Éthiopie; consoler son café lui semblait bien être un code, mais de quoi ? Quelle affliction soudaine pouvait donc bien frapper ce breuvage exotique pour qu’il faille le revigorer ? Saudade ? Mal du pays ?
Dès la première gorgée le poupard quitte l’enfance. La puissance du breuvage brûle un peu et s’il est question de larmes ce sont les seules siennes qui risquent de surgir. Il faut dire que l’eau-de-vie distillée dans la grange par grand-père a bon goût mais qu’elle titre à l’ancienne, dans les quarante minimum… Largement de quoi vous tirer quelques pleurs à dix ans.
Consoler son café n’est donc qu’un leurre car ce n’est aucunement la boisson qu’il faut réconforter mais bien à l’inverse la boisson qui console son buveur. Une pirouette maline qui fait passer le coquin pour un prude, l’une de ces figures de style comme seul le langage suranné sait les faire.
Comprendre la formule consoler son café ouvre la duplicité de la langue des adultes, ses pudeurs, ses embarras et ses scrupules, aux ouïes attentives de l’enfant. Il s’aperçoit que derrière les mots prononcés se trouvent des mots cachés et surtout que les grands sont vraiment prêts à tout pour s’en jeter un derrière la cravate.
La prise de conscience citoyenne des conséquences parfois dramatiques d’une alcoolisation trop importante lors du fameux repas du dimanche chez belle-maman¹ aura raison de consoler son café. L’entrée dans l’ère moderne sponsorisée par Nespresso et autres torréfacteurs planétaires remisera le pousse-café trop pousse-au-crime qui pleurnichait qu’on vienne le laper.
La bonne santé publique y gagnera, quant à la langue et à ses états d’âmes…