[le ku de pjé de lan] (loc. n. HI-HAN.)
Décidément notre fabuliste national Jean de la Fontaine est un pourvoyeur efficace d’expressions désuètes : c’est à nouveau à lui que la langue doit celle que voilà.
À lui et aussi à Caius Iulius Phaedrus dit Phèdre, autre fabuliste qui vécut à cheval sur les années avant et après JC ce qui n’est guère commode pour lui donner un âge¹.
Toujours est-il que dans le Livre 1 fable 21 de l’un et dans le Livre III fable 14 de l’autre, on trouve ce vil geste du faible qui vient botter le plus fort à qui le temps qui a passé et l’âge avancé qui va avec ne permettent plus de régner : le coup de pied de l’âne.
Le coup de pied de l’âne est la vengeance du lâche qui préférera patienter une vie entière (celle de l’autre en l’occurrence) pour pouvoir se lâcher sans risquer de fâcherie. Plutôt que d’affronter un puissant ou un fort, le couard attendra, attendra, attendra longuement qu’une faiblesse blesse et empêche le maître, lui permettant alors de lui asséner sans risquer les coups qui l’achèveront. Bien entendu, avant ce sombre instant, le pleutre, le timoré, le pétochard, le pusillanime aura fait montre de toute sa flagornerie.
Le coup de pied de l’âne est un triste coup de grâce puisqu’il va achever le vieux prépotent fatigué mais surtout parce qu’il est donné par le plus foireux de la troupe, et c’est bien sur ce sens de revanche sans panache qu’il a fait sa carrière.
L’onagre désormais paît en paix mais ne porte plus ni bât ni coup de pied en douce. En quittant son état de servitude et en se contentant de charrier des marmots au Luco ou ailleurs, il a fait disparaître ce coup de pied de l’âne du langage quotidien, le rendant suranné.
Surveillez cependant vos arrières, le moderne n’est pas plus franc du collier que l’ancien et le fourbe arpente toujours nos rues. Je parle de l’homme bien entendu, parce que pour ce qui est de l’âne il n’a jamais botté le cul qu’au malotru qui le traitait comme un ballot, et n’en déplaise au grand Jeannot, il n’y a que des jean-foutre qui ont rué en donnant le coup de pied de l’âne.
L’animal m’a trop longuement et patiemment fait arpenter les allées de mon parc préféré pour que je le soupçonne de la moindre lâcheté, lui.