Courir sur le haricot [kuʁiʁ syʁ lø aʁiko]

Fig. A. L’homme aux haricots. René Magritte, 1965.

[kuʁiʁ syʁ lø aʁiko] (AGACEM. AGRIC.)

Il existe mille et une manières d’exprimer son agacement face à un individu particulièrement pénible : il peut nous taper sur les nerfs, nous casser les pieds¹, ou encore nous pomper l’air. Mais quand le quidam dépasse les bornes, juste avant de passer à la correction façon bourre-pif, on dira qu’il nous court sur le haricot.

Poussée par le goût de nos ancêtres pour la botanique légumineuse (la France, ce pays rural), cette locution fleurit au XIXᵉ siècle, époque où l’on sait allier élégance et irritation dans un même souffle argotique, notamment quand il s’agit de la dernière sommation. La prévenance est encore maîtresse dans les mœurs d’alors.

Evidemment le haricot, ici, n’a rien à voir avec celui aux vertus flatueuses qui mijote dans le cassoulet ou que l’on sème au potager. Il désigne tout bonnement… le pied. Cette partie du corps que l’on retrouve d’ailleurs dans le vocabulaire médical avec les haricots du genou, ou dans l’humour marin avec le fameux haricot côtier², attestant d’une propension syntaxique aux comparaisons végétales.

Le pied, ce précieux appendice qui, depuis que l’homme se déplace grâce à lui et son compère jumeau plutôt que sur quatre pattes, est devenu sujet de tant d’attentions de la langue : on vit dessus quand il est grand, on le prend quand on est au firmament, on ne se mouche pas avec quand on fait dans la surdimension, et il est nickelé quand encore plus incompétent qu’un bras cassé.

Et se le faire piétiner étant parmi les expériences sociales les plus déplaisantes, il fallait bien que l’arpion se retrouve magnifié dans ce courir sur le haricot qui n’entend pas se laisser marcher sur les pieds.

Les esprits les plus tatillons se chargeront d’ajouter quelques nuances à cette montée en exaspération.

Quand l’agacé l’est légèrement il utilisera titiller le haricot, ce que des coquins ont rêvé de détourner vers du libidineux, mais ceci est une autre histoire. Un fâcheux insistant piétine le haricot et un casse-bonbons de haut niveau se met à faire un jogging en crampons sur le haricot (une forme plus codifiée et technique que celle de la simple course).

Est-ce donc parce qu’il est pressé que le moderne n’a plus le temps d’évaluer précisément son propre degré d’irritation et qu’il n’use plus de courir sur le haricot ? Désormais, dès que son voisin de métro lui souffle dans la nuque, dès que son collègue de bureau occupe la photocopieuse avec l’impression d’un rapport fleuve, dès que l’arbitre oublie un penalty pourtant flagrant, il s’indispose, prêt à le travailler en férocité pour lui montrer qui c’est Raoul.

La disparition progressive des haricots dans les assiettes du fait des vertus évoquées princeps n’a pas aidé l’expression à survivre.

Pourtant le pied garde intact son potentiel d’agacement. Et ceux qui nous gonflent, nous polluent l’existence ou nous bassinent continuent à nous courir dessus, qu’on se le dise d’une manière ou d’une autre.

¹D’aucuns se focalisent sur une autre partie de l’anatomie masculine.
²On notera qu’on grimpe facilement au cocotier quand on s’est trop fait courir sur le haricot.

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