Coûter la peau des fesses [kute la po de fɛs]

Coûter la peau des fesses

Fig. A. Quand les prix s’envolent.

[kute la po de fɛs] (PRI. CU.)

Furent des temps et lieux où tout se négociait, où le marchandage était un art et où le prix d’une denrée, d’un service ou d’un privilège n’était jamais totalement fixé avant qu’on ne l’ait âprement débattu.

C’était l’époque des faiseurs de prix, des maquignons madrés, des chiffonniers à la gouaille aiguisée. Une époque où, lorsqu’une dépense se révélait particulièrement douloureuse, on avait ce qu’il fallait en magasin pour la décrire : on n’hésitait pas à dire qu’elle coûtait la peau des fesses.

En tapant là où ça fait mal – le portefeuille et l’arrière-train – elle avait tout pour faire carrière. Pour se transmettre à tous et poser le séant comme référent de la cherté. Quand le coût aboutissait à devoir se peler l’arrière-train pour payer c’est qu’on était dans l’inflation façon république de Weimar. Le quoi-qu’il-en-coûte s’arrêtait à l’épiderme sensible du derche.

Qu’on se le dise, on ne parle pas ici d’un coût léger, d’une petite tracasserie comptable vite oubliée. Non, ce qui coûte la peau des fesses flirte avec l’indécence tarifaire, avec l’exagération manifeste d’un prix que seule l’insolence de l’offre et la faiblesse de la demande peuvent expliquer dans le monde où le marché fait loi. Il s’agit de la dépense que l’on regrette, du billet arraché à contrecœur, du chèque signé avec une larme et un soupir. En somme, c’est du cher, du très cher.

Une origine assise dans la douleur

Si la peau des fesses a été choisie comme mètre étalon de l’outrance pécuniaire, c’est qu’elle est sans doute l’une des parties du corps les plus sensibles et les moins enclines à être marchandées. Il est déjà difficile de se départir d’un bras ou d’un rein, alors de là à céder son popotin pour un paiement…

Il y eut bien quelques esprits retors pour supposer que les impôts médiévaux, notamment sous forme de dîmes ou de tailles injustes, purent inspirer cette expression : le serf, déjà écrasé par le poids des impôts, se retrouvait écorché s’il omettait de raquer.

D’autres évoquent des pratiques disciplinaires où l’on payait ses fautes au sens propre et au prix fort, les pantalons baissés et la dignité envolée. Mais il est plus probable que l’expression soit purement imagée, née de la simple évidence qu’il est impensable de céder une partie aussi intime pour se payer quoi que ce soit.

Avec l’essor de la modernité mercantile et de ses crédits renouvelables, ce qui coûte la peau des fesses se paie désormais en vingt-quatre mensualités, et l’angoisse du prix astronomique s’estompe derrière la douce illusion du prélèvement indolore. « Le prix s’oublie la qualité reste » comme le clame le vendeur au couteau aiguisé prêt à prélever son dû de pétrousquin avec la douceur d’une caresse.

L’époque est plus tendre avec le client.

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