[krapusê] (n. masc. CRÔA.)
Je cheminai tranquillement dans ce monde politiquement correct à la langue de bois moderne en chêne massif véritable lorsque je me retrouvai nez à nez (par honnêteté je devrais dire nez à nombril, mais passons) avec un être humain cumulant à lui seul la majorité des tares culturelles de la laideur et du hors norme présentes en ce bas monde.Doté moi-même d’une culture influencée par les images de bombes atomiques en maillot de bain et poses suggestives, appréciant sans rougir le patrimoine génétique des sujets en question soumis à ma sagacité sur papier glacé, je marquai un temps d’arrêt, de surprise affectée, et cherchai dans ma mémoire un qualificatif pour décrire cette rencontre.
Le terme de crapoussin resurgit, tressautant, avec la voix aux « r » roulés de mon aïeule. Il y était enfoui et s’était retrouvé submergé par des années d’apprentissage de la tolérance, de compréhension de la différence, d’acceptation de la beauté comme résultat d’un apprentissage, de circonvolutions sémantiques aussi. Mais c’est bien sûr ! Je viens de croiser un crapoussin et personne d’autre.
Un crapoussin… maintenant je me souviens. J’adorais entendre ce mot si justement descriptif de tel garçon de ferme qui m’effrayait tant je le trouvais plus mal fichu que n’importe laquelle de ses vaches. Sans rien connaître à l’étymologie je savais que la langue ne saurait jamais me proposer mieux que crapoussin.
Qu’on ne se méprenne pas : en suranné le crapoussin est certes péjoratif mais demeure non violent. Il nous décrit une personne de petite taille, bedonnante, au visage peu avenant, à la démarche étrange. Rien qui n’en fasse pour autant un être infréquentable. On peut être petit, grassouillet, moche et pourtant bourré de talent. Le crapoussin est un petit crapaud qui peut bien se muer en prince charmant pour peu qu’une jolie blonde lui dépose un baiser sur le front¹.
Le court-botte ventripotent a donc sa chance avec les belles et c’est une bonne nouvelle.
Il est cependant impossible d’en croiser un dans la modernité où l’on appelle un chat un félin de compagnie. Au risque de rendre une douleur encore plus violente, le crapoussin a périclité en périphrases que je trouve assassines.
Tuer tous les affreux commence en tuant les mots qui les décrivent et qui bien souvent les protègent. Nous ne nous laisserons pas faire.