[danjèl é valéri] (n. pr. B-A BA)
Maman sort de la ferme avec Daniel et Valérie. Un car va les conduire à la ville. Le car arrive. Il s’arrête près d’un mur. Monte Valérie, monte Daniel, dit maman. La porte se ferme. Un coup de corne écarte les canards qui traversent la rue, à la vitesse des tortues. Puis la voiture part. Valérie ne tarde pas à dormir. Daniel regarde le bord de la route. Il compte les arbres. Le car s’arrête à un carrefour. Sur une borne, Daniel lit : priorité à droite. Un camion vert passe. Le car repart et Daniel, heureux, aperçoit le marché de la ville qui a lieu tous les mercredis.
Ça y est, je sais lire ! C’est ma première lecture. Je suis fier. Et tout ça grâce à Daniel et Valérie.
Daniel et Valérie, ces deux héros de la méthode d’apprentissage de la lecture façon à l’ancienne ou syllabique mixte si vous préférez, créés par Fernand Nathan en 1964, m’ont tout appris. Et même si leurs prénoms ont souvent terminé leur carrière sur des bandeaux pare-soleil de Renault 12¹ je veux qu’ils sachent que je pense encore à eux².
Loin des querelles de méthodes (syllabique ou alphabétique pure, phonologique, globale, naturelle, idéo-visuelle, interactive) qui ravagèrent plus tard les rangs des descendants des hussards noirs, Daniel et Valérie nous donnèrent à voir un monde champêtre et bienveillant avec maman qui cuisinait et papa qui fumait la pipe. Il y avait aussi leur chien Bobi, un corniaud tacheté espiègle à souhait dont j’appréciais les fourberies. Un monde bien entendu suranné mais qui enseigna la consonne et la voyelle, la diphtongue et la ponctuation, l’art de la majuscule et celui des points de suspension à des générations.
Avec leur b-a ba, Lucette Houblain, institutrice chargée de classe d’application, et Raymond Vincent, inspecteur de l’enseignement primaire, mirent des millions d’enfants sur les chemins de la lecture; évidemment certains s’égarèrent en chemin, semant l’imparfait du subjonctif à la première patte d’oie, perdant le sens du participe présent dans un bois un peu sombre ou, pour les plus malheureux, accommodant les si au subjonctif futur comme ça, chemin faisant. Mais qu’importe qu’ils prirent la route de Molière, celle de Céline, de Proust ou un chemin de travers passant par San Antonio, qu’ils s’entichèrent de La Pléiade ou de romans de gare³, c’est à Raymond, Lucette, Daniel et Valérie qu’ils le doivent aujourd’hui.
L’exode rural et une répartition égalitaire des tâches ménagères firent prendre leur retraite à Daniel et Valérie devenus d’affreux propagandistes prosélytes de formes de vie qui n’avaient plus lieu d’être. Nul ne sait s’ils vécurent heureux mais en tout cas ils eurent beaucoup, mais alors beaucoup beaucoup d’enfants.