[de dèrjèr lé faɡo] (loc. adv. OIGN.)
Autant le suranné sait être rustique à souhait avec par exemple en toucher une sans faire bouger l’autre ou encore péter dans la soie, autant peut-il aussi porter au firmament de sa syntaxe des formes élaborées voire même sophistiquées.
Sa langue a donc pris garde de se doter d’une formule digne du pinacle auquel, parfois, il vouera une action, une recette, un vin, enfin bref une importance de la vie.
C’est son bon sens paysan qui lui donne la mesure avec de derrière les fagots. De derrière les fagots ne surgit que l’exceptionnel, ce qu’on avait caché au monde entier car il eut sans doute pu se montrer jaloux et c’est ce passage de l’ombre à la lumière qui confère la valeur. De derrière les fagots laisse à supposer que dans l’obscurité protectrice de ces bâtons de bois s’est épanouit le meilleur, le plus beau, et que l’indispensable temps qui n’aura pas manqué de s’écouler est, avec le secret, l’ingrédient du succès.
Au temps où les fagots réchauffaient nos ancêtres prévoyants qui les avaient engrangés en automne, il était de coutume de garder une bouteille, une pièce d’or¹, un jambon, qui attendraient donc derrière le tas de bois le retour du printemps. Un petit clin d’œil à l’avenir et à la chance en quelque sorte.
Selon la vigueur de l’hiver et le nombre de fagots qu’il avait fallu utiliser, la bonne fortune cachée comme le trésor du plus grand des pirates ressortait au grand jour, ou se faisait oublier une saison de plus…
Mais arrivait quoi qu’il en soit un jour où elle resurgissait de derrière les fagots. Le vin avait vieilli, l’or pris de la valeur, le jambon gagné en affinage et l’on pouvait alors les apprécier pleinement.
De derrière les fagots est elle même devenue de derrière les fagots lorsque la cheminée a cessé de chauffer toute la maisonnée, confiant cette tâche noble à l’électricité ou au chauffage central. Il est, en modernité, bien complexe et beaucoup trop salissant de dissimuler quoi que ce soit derrière une chaudière ou une cuve à mazout, convenons-en. Comme nous n’allons plus au bois depuis que les lauriers sont coupés², nous n’amassons plus de fagots derrière lesquels dissimuler l’espoir d’un lendemain arrosé d’un bon vin et d’une piécette à dépenser.
Triste modernité qui ménage ses bacchanales au rythme de ses foires aux vins, et qui ainsi ne sait plus être surprise par quoi que ce soit de derrière les fagots puisque tout est désormais prévu !