[i avwaʁ də la fʁityʁ syʁ la liɲ] (loc. audio. P&T)
Frsshh, fffrrsssssshhhhhhh, recouvrant de son son une déclaration d’amour ou de mépris, une phrase impérieuse qui ne sera pas comprise, un simple conseil qui ne sera pas suivi… Frsshh en a abîmé des destins dans les temps surannés.
Frsshh est l’onomatopée admise qui prévaut pour exprimer qu’il y a de la friture sur la ligne, expression bien connue des adeptes du service téléphonique du ministère des P&T en discussion avec ODÉON-12-16 (alias Micheline) ou MOZART-22-34 (alias Monsieur le Directeur) dont l’objectif est d’exprimer une distorsion auditive relevant d’une cause extérieure le plus souvent technique.
C’est la proximité sonore avec le frsshh des pommes de terres coupées en long plongées dans un bac de graisse d’oie à 150°C pendant dix minutes (puis trois minutes dans une graisse à 180° C) qui a permis d’imaginer la chose, l’invention des frites (1789) précédant largement celle du téléphone (1876).
Quand il y a de la friture sur la ligne, la forme originale du signal sonore qui peut être par exemple « Je t’embrasse, dans le cou comme ça et sans préambule »¹ va trouver son écoute brouillée. Le destinataire de l’appel téléphonique entendra simplement « Je t’emfffrrsssshhhhhh frsshh frsshh ule », ce qui peut s’avérer incompréhensible voire gênant si dans la seconde qui suit la cabine téléphonique coupe la conversation faute de pièces de 1 franc pour la continuer et ne permet donc pas de répéter pour lever un éventuel doute sur ce qui se trouvait sous frsshh².
C’est de cette incapacité technique à se comprendre que va procéder l’usage élargi d’y avoir de la friture sur la ligne à d’autres champs des relations entre humains, en l’occurrence celui des dissensions et de l’incompatibilité d’humeur.
De quoi s’assurer une carrière prolifique puisque l’Homme a pour passe-temps favori de faire rien qu’à embêter l’Homme, homo homini lupus est comme on disait déjà dans La Comédie des Ânes vers -195 (on ne pouvait pas dire alors qu’il y avait de la friture sur la ligne puisque ni les frites ni le téléphone n’avaient été inventés).
L’acoustique si particulière de la friture sur la ligne va brusquement entrer en surannéité lorsque sa raison d’être, le téléphone, va passer de fixe à mobile. En perdant son fil qui le relie au mur du salon et en quittant le cocon familial, le téléphone, sans fil donc, se dote de nouvelles inflexions qui interdisent de comprendre : c’est le symptôme que les plus anciens nomment « de la voix de Nono » (en référence à Nono le petit robot du dessin animé Ulysse 31) ou encore New Starflash Lazerline Hatchin’ Club (« Nous sommes ensemble ce soir pour une soirée de bonheur musical avec un grand concours de danse, de nombreux super cadeaux pour les heureux gagnants, il y aura les T-shirt Marlboro, les autocollants Pioneer, les caleçons JB, les peluches, à la technique c’est Michel, le light-jockey c’est Momo, on monte sur les tables, on lève les bras bien haut, allez c’est parti »³).
Une résonance caverneuse qui rendra surannée y avoir de la friture sur la ligne, abandonnant frsshh à l’unique description de la chaude baraque à frites, une toute autre histoire.