[dèrjèr le pwal] (gr. n. TYPO.)
Une pudeur extrême anime la langue surannée qui ne se plaît guère à frustrer ceux auxquels elle s’adresse. Elle ne sait pas dire non, elle est comme ça, cherchant toujours à faire plaisir.
Elle est taquine, aussi, et joue parfois avec le sens, tel un Raminagrobis sadique avec la malheureuse souris capturée pour satisfaire son ego sans bornes. Ainsi est-il lorsqu’elle doit annoncer qu’il n’y en a plus; de quoi que ce soit. De ce gâteau dont vous lorgniez la dernière part, de ce petit Mâcon de derrière les fagots, de respect, de jeunesse, d’espoir. Quand il n’y en a plus de tout ça et de bien d’autres choses encore, la langue surannée préfère répondre derrière le poêle.
Exemple :
– Il reste encore un peu de cette tarte délicieuse ?
– Derrière le poêle.
Ou encore :
– Et pour mon augmentation ?
– Derrière le poêle.
À moins que vous ne quémandiez quelques bouts de bois pour vous chauffer face à l’hiver rigoureux, il y a fort à parier que derrière le poêle vous laisse sans illusions : ce sera non. Non il n’y a plus de tarte, non il n’y aura pas d’augmentation, non, non et non. Derrière le poêle est sous-entendu incongru pour conserver, mettre à l’abri, garder, stocker, et en y réfléchissant un peu il ne peut rien s’y trouver. Derrière le poêle s’ouvrent les Enfers dans le meilleur des cas, et mieux vaut ne pas trop y traîner alors.
Issue du monde des casses (les bas et les hauts des typographes, pas celles des cimetières de voitures de la Nationale 7), derrière le poêle eut un parcours honnête dans un France rurale encore chauffée au bois ou au charbon et même dans des villes ne proposant pas le gaz à tous les étages à tous leurs habitants. Bien que les descendants de Gutenberg conservassent leur argot aussi jalousement que leur art de lever la lettre, ils consentirent bon gré mal gré (pour ceux qui avaient mauvais caractère) à diffuser derrière le poêle, démontrant au passage qu’en plus d’une main d’or ils avaient aussi le cœur du même métal.
Mise à mal par la concurrence du système moderne de centralisation de production de chaleur et sa distribution massive par des tuyaux de plomb qui feraient bientôt retomber une chape toute aussi lourde sur son existence, derrière le poêle disparut comme se développait la CPCU et ses comparses provinciales. La Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain emporta dans la vapeur de son réseau de chaleur les subtilités d’une langue qui n’a besoin de bois que lorsqu’elle s’évertue à répondre n’importe quoi, ce qui n’était pas le cas quand elle usait encore de derrière le poêle.
Il n’y a désormais plus de derrière le poêle puisque le chauffage est central. Et le moderne sait dire : non.