[dirèkt dé al] (appell. contrôl. ÉPICE.)
Dans le commerce épicier, la devanture c’est important. Avec son étalage ordonnancé, c’est elle qui donne envie. Mais le plus important réside dans la sérigraphie lettrée de son auvent coloré qui affiche en une typographie noire : direct des halles.
Direct des halles semble être une certification d’une rare qualité qui attire la ménagère comme la gariguette sucrée attire l’abeille. Un code un peu secret (bien qu’affiché) qui lui est réservé¹, une phrase absconse qui porte les promesses obscures d’une devise (un peu comme ce liberté, égalité, fraternité au dessus de « école élémentaire pour garçons » qui me toise chaque jour, mais ceci est certainement une autre histoire), bref un truc pour ceux qui savent.
Depuis Louis VI le Gros qui transfère en 1137 le marché Palu et le marché central de Paris aux Champeaux et crée ainsi la première halle, jusqu’à 1973 où l’on met à terre le dernier pavillon², direct des halles va distiller son mystère au fronton des épiceries de quartier.
Mieux encore, lorsque le commerçant acquiert une Citroën type H de livraison, il peint sur le flanc gris qui n’est pas ondulé le notable direct des halles et l’adresse du magasin : ça pose son négociant. Une belle manière de résister à la force commerciale de Félix Potin, de la Coop, de Prisunic qui grignotent chaque jour des parts de marché avec leurs enseignes rutilantes aux néons allumés. Direct des halles c’est l’apophtegme du petit commerce de proximité.
Le 3 mars 1969 direct des halles devient une expression surannée. Le Marché d’Intérêt National de Rungis ouvre ses portes et ses deux cent trente deux hectares, accueillant à sept kilomètres de la capitale les fournisseurs gouailleurs de tout ce qui arborait jusqu’alors direct des halles. Certains tentent un baroud d’honneur typographique avec un direct MIN Rungis mais le subterfuge beaucoup trop moderne ne fonctionne pas³.
L’âme du direct des halles s’en est allée loin du cœur de Paris. Momo a pris sa retraite. À la place de son épicerie il y a une banque.