[dòné le fjô] (loc. art. DÉT.)
Généralement complices, l’argot et la langue surannée peuvent en de rares occasions s’opposer et tirer chacun dans leur sens, au risque de s’abîmer l’un et l’autre et de laisser un boulevard à la novlangue start-upienne.
C’est pour une histoire de fion que les acolytes se sont fâchés¹, le premier en faisant une partie du corps humain, la seconde une touche magistrale et finale.
Donner le fion ne consiste pas à montrer son fignard à tous les passants mais bel et bien à apporter un soin tout particulier à la réalisation d’un ouvrage, chef-d’œuvre ou simple petite tâche du quotidien. Car le fion en son sens de cachet est antérieur à celui qui l’entend comme postérieur.
C’est d’ailleurs troufignon atrophié qui a donné fion comme fessier. Et fion qui existait donc déjà comme geste ultime signant la perfection, a dû s’accommoder de cet homographe gênant.
Donner le fion a en effet beaucoup souffert de passer pour expression perverse alors qu’elle souhaitait souligner l’attention de l’artisan, le souci du détail.
André-Charles Boulle donnait le fion tant qu’il pouvait, Léonard de Vinci n’avait de cesse que de donner le fion, tout comme Paul Bocuse, Jérôme Bosch, Imhotep, Michelangelo… et même ces inconnus s’appliquant à rendre expressif l’œil d’un auroch sur la paroi d’une grotte de Dordogne².
Donner le fion n’est pas vainement tatillon ou coupeur de cheveux en quatre. Mona Lisa aurait l’air d’une matrone de pizzeria à la pose figée (préfigurant la photographie administrative des pièces d’identité avec cinq cents ans d’avance, mais ceci est une autre histoire) sans le fion mis à la réalisation de son sourire en coin. Et que dire de la cathédrale de Reims qui sans son Ange au Sourire, fruit du fion d’un sculpteur appliqué, ne serait qu’un monument gothique parmi d’autres.
Pour toucher au sublime il faut donner le fion.
Féru de productivité, le moderne peu enclin à se damner pour un détail proposera de se carrer dans le fion ce don de fion jugé bien peu rentable : il est vrai que donner le fion prend du temps. Bien plus occupé à programmer l’obsolescence qu’à peaufiner des béatilles, il rendra donner le fion surannée en la faisant passer pour une vulgarité qu’il convient évidemment d’oublier.
Le fion n’est plus ni séant ni seing. Il a tout perdu.