[dòné dâ le féby] (loc. verb. AMPOUL.)
Gaston III de Foix-Béarn, dit Gaston Phébus ou Fébus, régnait tranquillement sur son Béarn, guerroyant et intrigant à qui mieux mieux comme il est alors convenu pour tout seigneur digne de son rang (on est au XIVᵉ).
Vers la fin de sa vie, le brave comte de Foix et vicomte de Béarn publie son Livre de chasse sobrement intitulé Le Miroir de Phébus des déduits de la chasse des bestes sauvaiges et des oyseaux de proie, ouvrage de vénerie qui sera son legs à la postérité.
De ses conseils sur la meilleure manière d’occire le cerf, de piéger le renard ou de colleter le lapin, il restera avant tout un style d’écriture, ampoulée à souhait, complexe à s’en prendre les pieds dans la tapisserie d’Aubusson, d’une langue plus boisée que la plus touffue des forêts giboyeuses qui fabriquera donner dans le Phébus.
Donne dans le Phébus le prosateur qui circonvole, qui tournicote, qui abuse de l’allégorie, qui soliloque sur des lignes entières en enfouissant le sens sous les effets de manche. Et le vicomte était champion.
Je Gaston par la grace de dieu surnomé Fébus Comte de foys seigneur de bearn qui tout mon temps me suy delité par espicial en trois choses. L’une est en armes. l’autre est en amours. et l’autre si est en chasse. Et quar des deux offices il y a eu trop de meilleurs maistres que je ne suy. Quar trop de meilleurs chevaliers ont esté que je ne suy et aussi moult de meilleurs cheances damours ont heu trop de gens que je nay pour ce seroit ce grant niceté si je en parloye.
Notons que donner dans le Phébus semble convaincre la donzelle de se coucher là, puisque le charmant Gaston susnommé possède en matière d’amours un tableau de chasse presque équivalent à celui des bestes sauvaiges.
Il se pourrait que l’abus de tournures sentencieuses, guindées, hyperboliques et boursouflées, sans jamais pour autant être amphigouriques, hypnotise la belle qui se retrouve alors, tel le lapin en goguette nocturne pris dans le faisceau des phares jaunes de la Renault 12, à la merci du premier rodomont de passage. Mais ce n’est là qu’une hypothèse qu’aucune étude américaine sérieuse ne vient cependant affirmer (ce qui en fait une autre histoire).
De cours magistraux sorbonnards en discours harangueurs pour faire voter pour (ou contre, c’est selon), de tribunes solennelles en une des journaux en petit laïus non préparé-mais-je-tenais-tout-de-même-mes-chers-collaborateurs-à-souligner-le-travail-de-Jean-Louis-en-tant-que-responsable-de-la-photocopieuse-et-des-trombonnes-depuis-30-ans-et-à-lui-souhaiter-une-heureuse-retraite, on donnera plus qu’il n’en faut dans le Phébus au cours des siècles qui suivront l’exposé du troisième des Gaston de Béarn.
Est-ce le soudain désintérêt flagrant du moderne pour l’art de la vénerie qui rendra l’expression désuète ? Est-ce l’avénement d’un langage plus conscient des enjeux écologiques planétaires, dit aussi « langue de bois », qui fera de donner dans le Phébus une locution surannée ?
Désormais le langage est concis. C’est mieux. Sans doute. Enfin, certainement. Pour sûr.