C'est Judas Iscariote qui donna le premier tuyau de l'histoire. Ainsi le veut la tradition.
[dòné ê tyjo] (loc. secr. JUD.)
Pour autant sympathique que soit le plombier, honorant toujours ses rendez-vous à l’heure dite avec le sourire¹ qui plus est², ce n’est pas à son professionnalisme que la langue désuète doit l’expression donner un tuyau.
Même si cet artiste du tube de cuivre et du raccord sans soudure en possède des dizaines dans sa 4L break ou dans son atelier, il a plutôt tendance à facturer la prestation qu’à la donner, ce qui est bien compréhensible puisque s’il se contentait de donner des tuyaux, l’artisan du siphon se nourrirait de clopinettes.
Il pourra à l’occasion déroger à la règle du marché et donner un tuyau quand il ne s’agira point de faire dans la tubulure mais dans l’information.
Ce faisant il se trouvera dans la position de tout initié du trot attelé conseillant discrètement de parier sur Rastaman Vibration dans la troisième à Vincennes (coté à 39 contre 1), ou du moindre malfrat achetant sa liberté en indiquant à la maison poulaga un fric-frac à venir.
Donner un tuyau n’est donc pas réservé à qui manipule la durite mais à tout un chacun possédant un secret qu’il rendra indiscret.
C’est parce que la révélation ne peut se faire autrement qu’à l’oreille qu’elle se dit tuyau
Et c’est bien parce que la révélation ne peut se faire autrement qu’à l’oreille qu’elle se dit tuyau, l’esgourde rappelant étrangement dans son anatomie tortueuse le réseau des eaux grises et noires de la moindre bâtisse.
Même s’il est évident que le chuchotement auriculaire se pratique depuis la nuit des temps, il est de coutume de dater l’expression du jour où Judas Iscariote renseigna Simon le Zélote sur la grande forme d’un concurrent de course de chars au Circus Maximus. C’est étrange mais c’est ainsi, la langue surannée peut après tout avoir ses légendes elle aussi.
Le tuyau s’avéra crevé mais le bougre se rattrapa quelques années plus tard en donnant un tuyau – exact cette fois – sur son patron Nazaréen qui aurait d’autres conséquences que les trente pièces d’argent perdues par Simon (mais ceci est une autre histoire).
Suivront dans la carrière d’informateurs plus ou moins convaincants, Robert du PMU-Café des sports à Mouchamps, Huggy les bons tuyaux du bar The Pit’s (Bay City, Californie), Jules Raymond Mazarin ou encore Bertrand D. de l’école Jean Macé qui fit connaître aux autorités le nom des protagonistes de la fameuse bataille de purée du 4 mai 1978.
Donnant à chaque fois un tuyau hermétique ou un tuyau percé, ces sombres taupes des arcanes chuchotèrent à l’oreille des puissants ce qu’ils voulaient entendre, permettant au passage à la locution informatrice de se déployer.
Avec ses oreilles occupées par des écouteurs lui permettant de braver en musique le monde qui tremble sous les cris des enfants qui sont malheureux³, tatataaaa, le moderne n’entend plus : le tuyau est bouché.
Il n’a que faire qu’on lui donne un tuyau.
L’expression peut être évacuée, surannée.
Post scriptum : Bertrand D. on t’aura un jour, on sait que c’est toi qui les a rencardés.