[ékòrSé lâɡij par la kö] (loc. poiss. SENS.)
Il était taquin, Le Petit Rapporteur, quand il chantait, guilleret, qu’on y voyait mieux par le petit bout de la lorgnette plutôt que par le grand bout. Il se trompait et nous lui pardonnons.
Nous souhaitons cependant rappeler, avec l’expression écorcher l’anguille par la queue, que toute chose a un sens et que commencer par là où il faudrait en finir n’est pas le bon. C’est bien ce que veut nous faire entendre la langue surannée quand elle utilise cette analogie poissonneuse.
Sa spécificité technique si caractéristique oblige à penser qu’écorcher l’anguille par la queue provient d’une halle à marée : qui d’autre qu’un pêcheur ou un poissonnier sait que pour dépouiller l’anguille il faut commencer par accrocher sa tête à un crochet, inciser sa peau au niveau des branchies, la vider de ses entrailles gluantes puis dérouler sa peau comme Rita Renoir déroule ses bas au Crazy ? À coup sûr un boulanger expert en pétrissage de miche s’y prendrait à l’envers et écorcherait l’anguille par le queue, le bougre.
Qu’il s’agisse d’effeuiller une stripteaseuse ou une anguille-spaghetti il y a un sens à respecter, n’en déplaise aux rebelles à l’ordre établi. Et tout agencement autre est vain. C’est la logique aristotélicienne et ses Réfutations sophistiques qui s’incarne dans écorcher l’anguille par la queue. Pas moins.
Ce qui se fait de gauche à droite est sens dessus dessous de droite à gauche. La charrue se met après les bœufs et qui la met avant échoue. Et qui écorche l’anguille par la queue n’est pas vraiment dans le sens de l’histoire.
S’il est un domaine dans lequel il n’est pas tolérable d’écorcher l’anguille par la queue, c’est celui du labeur : la besogne se nourrit d’ordonnancement et de procédures, pas de créativité et d’expressions surannées. C’est pourquoi l’Organisation Scientifique du Travail et ses séides productivistes combattront férocement tous ceux imaginant un instant apporter leur patte singulière à l’ouvrage, allant jusqu’à mater les plus rétifs sous les coups de boutoir de cadences infernales et faisant disparaître l’expression.
Féru d’activités corrélées permettant de transformer des éléments d’entrée en éléments de sortie conformes à la norme établie (ISO 9000 par exemple), le moderne n’envisage pas un instant de déroger au processus et d’écorcher l’anguille par la queue. On ne se risque plus sur le bizarre, trop risqué.