[ékutsilplö] (n. comp. GLAND.)
C‘est certainement le futur canonisé Thomas d’Aquin qui fournit la première liste des péchés capitaux, parmi lesquels on trouve l’acédie qui deviendra vite la paresse et mettra un peu vite dans le même sac le rêveur souhaitant savourer un coucher de soleil, le Paul Lafargue rédigeant son Droit à la paresse, réfutation du droit du travail, l’adolescent fatigué de croissance et enfin le branleur cynique faisant faire le boulot par les autres.
Le langage suranné ne pouvait tolérer un tel amalgame grossier et décida donc de nommer ce fainéant attentiste et poseur, mauvais imitateur du Penseur bronzé sculpté par le Bouc sacré (représentant initialement Dante penché en avant pour observer le cercle des Enfers), un écoute-s’il-pleut.
Certains prétendent que c’est l’attitude même de la sculpture de Rodin qui donna naissance à l’écoute-s’il-pleut tant le colosse pourrait sembler attentif aux vicissitudes météorologiques. Il est plus probable que le paresseux qui fait exécuter les tâches par ses subordonnés tout en s’attribuant la gloire de leur réussite doive sa dénomination à celle similaire du moulin qui ne fonctionne que si la pluie alimente son cours d’eau. Le dictionnaire 1798 de nos confrères de l’Académie française fait part de l’existence de ces moulins écoute-s’il-pleut et le Penseur date de près d’un siècle plus tard, ce qui valide a priori l’ordre d’apparition.
Rodin n’aurait certainement pas goûté que l’on nomme écoute-s’il-pleut la pose inspirée du chef d’œuvre, soulignant au passage la contribution peu payée en postérité de ses assistants et réactivant la célèbre querelle créatrice entre rodiniens et claudeliens, posant au passage la délicate question de savoir si le maître fut le premier écoute-s’il-pleut.
Ce n’est pour autant pas lui qui voua aux enfers surannés cet écoute-s’il-pleut qui aurait toute légitimité en modernité où l’on croise tant de responsable de service photocopieuse du troisième étage s’abîmant dans de profondes réflexions apparentes pour justifier par le corps ce que leur pensée sensée serait censée produire.
Les différentes théories d’organisation du travail (classique, behavioriste, mathématique, systémique, de la contingence structurelle, de l’analyse stratégique des organisations, culturaliste, du contrôle externe, et autres tentatives d’expliquer que le travail c’est la santé) prendront bien soin dès les travaux de F.W. Taylor, de Gulick & Urwick ou de Weber, d’effacer toute trace de cet écoute-s’il-pleut poétique et bien trop subversif pour figurer dans un organigramme.
Écoute-s’il-pleut perdra concomitamment son sens et ses traits d’union, ne devenant plus qu’une injonction hygrométrique à l’observation acoustique des phénomènes météorologiques avec « écoute s’il pleut »¹.
Seuls quelques lieux-dits et quelques rues de France affichent encore cet écoute-s’il-pleut qui chantait pouilles au tire-au-flanc. Trop peu pour que l’expression survive.