[âplwajé de péaZ] (n. com. TAX.)
S‘il convient d’afficher dans la longue litanie des métiers surannés ceux de hongreur, de lavandière, de mercelot, ou encore d’oribusier, il en est un qui n’a pas disparu faute de débouchés à l’exercice de sa compétence mais qui s’est vu débauché par la machine moderne, grande remplaçante de tout ce qui peut exiger des « conditions de travail » comme ils disent : employé de péage.
L’employé de péage vit dans une casemate d’un mètre carré sise au beau milieu de l’autoroute du Soleil (ou d’ailleurs) et promeut l’immobilité là où la totalité de ses contemporains ne rêve que de vitesse éperdue. D’un strict point de vue ontologique il est en cela fondamentalement différent des autres êtres vivants.
S’il défie l’usage de l’autoroute en demeurant plutôt qu’en filant, c’est cependant à des fins de gratification. Comme son nom l’indique, l’employé de péage est un employé : ce statut lui confère l’obligation de respect de ses engagements contractuels qui impliquent notamment ce hiératisme de rigueur. C’est qu’il est en charge de percevoir une taxe de plus, l’employé de péage, et nombreux sont les questeurs qui peuvent témoigner du peu de goût du Gaulois pour verser sa maltôte. Le métier est en cela risqué.
Mais l’employé de péage n’est pas un mauvais bougre. D’ailleurs, quand il se met en grève, il omet de récolter la gabelle, ce qui le rend populaire auprès de l’automobiliste (et donc de papa). Et surtout, avec son accent qui commence à chanter dès qu’on a passé la barrière de Vienne¹, il nous dit malgré lui qu’on approche des vacances, de la Provence et de la mer.
Même quand on passe la nuit et que je suis censé dormir à l’arrière de la voiture, allongé entre bagages, chiens et jambes qui doivent certainement appartenir à mon frère, j’ouvre un œil et une ou deux oreilles pour l’entendre annoncer le montant de la contribution au budget de l’État. À la simple manière dont il modulera son « cinq-quanteuh », je sais combien de temps nous sépare de la plage. Je l’aime bien l’employé de péage.
Je suis passé par là l’autre jour. L’employé de péage a désormais disparu. Une machine sans âme avale ma carte bancaire et me crache un papier. Elle n’a pas la moindre trace d’accent. Alors moi aussi j’ai décidé de bouder et de passer sans même prendre la peine d’ouvrir ma fenêtre, tout ça grâce à une petit boîte truffée d’électronique encore plus moderne. Saloperie de machine qui a tué l’employé de péage, je ne te laisserai pas gâcher les vacances.
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