[âprûté û pê syr la furné] (loc. boulang. NAISS.)
La formulation de certaines libertés prises avec les mœurs usuelles des années surannées appelait à l’utilisation de détours du langage et, ce faisant, à la création d’expressions dont il faut bien admettre qu’elles ne cachaient que ce que les chastes oreilles ne voulaient pas entendre.
Il en est ainsi d’emprunter un pain sur la fournée dont le rôle est de signaler délicatement l’existence d’une naissance hors mariage, acte se situant entre l’affront et l’abomination dans ces temps où les épousailles sont du ressort du calotin plus que de l’édile républicain (surtout s’il s’agit de celui mariant à la mairie du XIIIᵉ).
C’est toute la générosité du boulanger qui fait souvent crédit à l’endetté venu quérir les quatre cent cinquante grammes de mie d’un bâtard¹ à laquelle il est rendu hommage par emprunter un pain sur la fournée, et non à un tempérament supposé olé-olé du gindre comme d’aucuns ont voulu le faire croire (le bonhomme n’est pas plus chaud qu’un plombier ou qu’un peintre en bâtiment).
Le pain dont on sait qu’il est un des éléments de la sainte trinité française pain-vin-camembert (cf. fig. A.), est ici utilisé à dessein pour narguer la conception de l’enfantement qui voudrait qu’il ne puisse être réalisé hors liens sacrés du mariage, sans toutefois s’ériger en dogme anti-clérical. Une sorte de contestation tranquille qui, paradoxalement, remet l’église au milieu du village (à côté du Balto et de la boulangerie).
À partir de 2006, emprunter un pain sur la fournée va sombrer dans l’oubli et le registre désuet. Année moderne s’il en est, elle marque le moment où désormais plus de la moitié des enfants nés en France le sont de parents non mariés. Une pression bien trop importante pour le boulanger du coin qui ne peut tout de même faire crédit à un client sur deux !
La Confédération nationale de la boulangerie pâtisserie française demande officiellement aux autorités que l’expression soit retirée du langage quotidien et qu’un écriteau « La Maison ne fait pas crédit » soit affiché dans toutes les boulangeries de France².
Le bâtard en profite pour disparaître de la boîte à pain Rossignol au profit de la baguette aux lardons et olives, du pain au chorizo et tomates confites et de la bio-nature-sans-gluten, créations originales facturées au prix fort et peu pratiques au petit déjeuner. Mais ceci est une autre histoire.