[ân- avwar ɡro syr la patat] (loc. agric. PATATA.)
En ramenant la pomme de terre de ses pérégrinations péruviennes, Pizarro imaginait-il un seul instant que c’est l’une des plus surannées expressions du spleen qu’il charriait dans ses cales ? Il est probable que non.
Pourtant, au-delà du gratin dauphinois, de la pomme de terre en robe de chambre, de la purée ou de la frite, c’est bien en avoir gros sur la patate que le conquistador servit sur un plateau aux idées noires du vieux continent.
En avoir gros sur la patate est un spleen profond, l’un de ces sentiments qui nous enveloppe, comme dirait Charles dans ses Fleurs du Mal, Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle, Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l’horizon embrassant tout le cercle, Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits…
❝ En quoi un tubercule comestible est-il si proche de l’âme pour en être synonyme ? ❞
Oui, en avoir gros sur la patate c’est du lourd.
Si l’aspect volumique important, ce gros qui amène inexorablement au tædium vitæ, est facile à comprendre, le côté patatoïde de la chose est nettement plus abscons. En quoi un tubercule comestible est-il si proche de l’âme pour en être synonyme ? Dans sa forme ? Sa consistance ? Son goût ? Sa variété peut-être ?¹ Qui peut donc décider que l’essence humaine réside dans la pomme de terre ?
Zosime lui-même, quarante et unième pape qui théorisa l’âme lors du concile de Cathage (418), établit-il le moindre lien avec la solanum tuberosum ? Non, bien entendu.
L’absence de réponse satisfaisante à toutes ces questions que ne manque pas de se poser tout utilisateur du langage, est vraisemblablement la cause de la disparition d’en avoir gros sur la patate. Pire encore, dans une tentative étrange de récupération, ce langage moderniste devenu branché², promouvra le jeunisme avoir la frite dont les études montreront l’impact sur le taux d’obésité des nouvelles générations (mais ceci est une autre histoire).
Puisse ce modeste ouvrage contribuer à redonner sa place dans la poésie quotidienne à en avoir gros sur la patate.
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