[épè kòm ê sâdwiS èsènséèf] (loc. adv. CUIS.)
Dans un pays où la cuisine pourrait tenir lieu de 10ᵉ art, complétant dignement la somme toute controversée classification des arts majeurs (architecture, sculpture, peinture, musique, poésie du XIXᵉ siècle ayant laissé place à architecture, sculpture, arts visuels, arts de la scène, danse, musique, cinéma, arts médiatiques, bande dessinée), toute tentative de faire avaler n’importe quoi à qui que ce soit est immanquablement sanctionnée.Et quand la sanction est expression surannée elle marque du sceau de l’infamie le condamné, car la langue charrie plus sûrement le jugement que n’importe quelle sentence de n’importe quel tribunal. Faites entrer l’accusée.
Durant les années du train qui s’arrêtait trrrrrois minutes à Brive-la-Gaillarde, la SNCF fut reconnue coupable d’affront gastronomique caractérisé pour vente de denrées insuffisantes à la consommation, tant quantitativement que qualitativement. Composé généralement de deux tranches de pain de mie et d’une tranche de jambon rappelant les heures sombres de la guerre et ses tickets de rationnement, le sandwich SNCF était un tel outrage à l’idée même de satiété qu’il donna naissance à l’étalon de l’épaisseur, la mesure unitaire s’installant comme celle de l’insuffisance.
Épais comme un sandwich SNCF devint ainsi grâce au développement du réseau ferré et aux congés payés le calibre de l’impéritie culinaire. Il se murmure dans les milieux autorisés que les descendants du fameux John Montagu (1718-1792), quatrième comte de Sandwich – celui-la même dont le domestique lui apporta deux tranches de pain garnies de viande froide, de concombre et de fromage, un beau soir comme il ne voulait pas quitter la table d’une partie de cartes – s’offusquèrent du traitement infligé à l’invention de leur aïeul¹, et exigèrent le retrait de l’expression. Las, épais comme un sandwich SNCF n’avait déjà que trop tracé son sillon et s’appliquait à tout freluquet de la cour de récré ou demi-portion n’ayant pas réellement les moyens de ses ambitions.
Épais comme un sandwich SNCF disparut du langage lorsque la mal-bouffe outre-atlantiste pointa son cheeseburger et ses enseignes criardes. Épais comme un Big Mac ne pouvant pas vraiment s’envisager (en tout cas pas dans la même acception), la mesure parcimonieuse perdit son allégorie ferrée.
Risotto aux légumes du soleil, poulet et coriandre fraîche, quinoa, tofu, petits légumes sautés façon wok, oignons croustillant, pavé au jambon blanc, fromage pur brebis et fritons de canard, égaillent désormais un déjeuner à bord du train qui va vite². Le goût y a gagné ce que la langue y a perdu.
On ne peut tout avoir dans une époque moderne. Post Tot Naufragia Portum comme on dit chez les Sandwich depuis plus de trois cents ans.
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