[eplyʃe lez- ekʁəvis] (loc. anim. TAT.)
C‘est sans aucun doute pour empêcher l’utilisation de l’expression vulgaire et sodomite de brachycères rendant compte d’un comportement tatillon à outrance, que le langage suranné a bâti celle-ci synonyme et nettement plus élégante.
Demeurant dans le champ animal pour ne pas trop perdre ceux qui s’attaquaient jusqu’alors à la musca domestica, éplucher les écrevisses porte en effet la même idée qu’enc****r les mouches : ergoter sur des détails qui n’en valent vraiment pas la peine et qui finiront par lasser un interlocuteur, même des plus compréhensifs.
Pour bien comprendre l’expression il faut évidemment savoir que les crustacés décapodes incriminés possèdent un exosquelette complexe à décortiquer, et qu’une fois brisés les huit segments du péréion et les six du pléon il ne reste pas grand chose à becqueter. En conséquence de quoi, il est proche de l’inutilité absolue d’éplucher les écrevisses (y compris les écrevisses américaines introduites en France vers 1880 et ayant depuis boulotté la quasi totalité de leurs congénères bien de chez nous).
Éplucher les écrevisses s’utilise de manière courante en ces temps où l’on va à la pêche aux écrevisses avec monsieur l’curé, où l’on se baigne tout nus, tout noirs avec les petites filles et les canards comme le chante Nino Ferrer en 1971¹, notamment pour moquer l’agent administratif tracassier refusant un formulaire pour cause de case raturée ou pour tancer le sourcilleux s’offusquant d’un détail dans lequel il aperçoit la marque du Malin, alors qu’il n’y a pas péril en la demeure.
L’usage d’éplucher les écrevisses demande cependant une réelle subtilité.
On dira par exemple que le responsable de la photocopieuse qui positionne scrupuleusement l’agrafe scellant en un seul bloc le fruit de son labeur à deux virgule cinq centimètres du haut de la feuille – et pas deux virgule six – épluche les écrevisses, alors que Maître Capelo, lui, dans son désir d’accord du participe passé n’épluche jamais les écrevisses.
Éplucher les écrevisses filera en surannéité lorsque la frénésie moderne pour les zones commerciales devant enlaidir l’entrée du moindre bourg fera disparaître l’écrevisse après avoir souillé les rivières où elle bullait tranquillement².
Ce n’est donc pas faute d’éplucheurs qu’éplucher les écrevisses deviendra désuète, ceux-ci s’avérant beaucoup plus à même de vivre en milieu contemporain, voire d’y trouver une place de choix (mais ceci est une autre histoire³).