[etikɛt dimo] (marq. dép. SCOL.)
La firme californienne créée en 1958 qui les commercialise aura beau se battre tant qu’elle veut pour demeurer moderne, elle sait depuis longtemps que les étiquettes Dymo sont surannées et que rien ne sert de s’échiner à inventer de nouveaux trucs à étiqueter pour paraître dans le coup.Il est des combats qui n’ont pas lieu d’être menés; celui-ci en est un.
La bande semi-rigide auto-collante et ses lettres en relief au blanc immaculé et dégradé selon la force qu’on a bien voulu mettre en appuyant sur la poignée de la machine est entrée en surannéité avec tant et tant de cahiers d’écoliers qu’elle ne peut désormais plus se cacher. Elle fait partie du patrimoine suranné. C’est ainsi.
Sa machine conceptrice tenait en une poignée surmontée d’un bien étrange disque marqué des lettres de l’alphabet et des chiffres nécessaires à la mise en classement archivé de n’importe quel dossier ou à la juste attribution à son propriétaire de n’importe quel bien à condition que la bande collante sus-mentionnée y soit dûment collée. Les étiquettes Dymo marquaient un territoire mieux qu’une pancarte de bois surmontée d’un crâne de taureau blanchi par le soleil et le vent à Nothing Gulch¹. Tu savais où tu rentrais quand tu voyais cette pancarte, tu savais à qui était ce cahier quand tu voyais l’étiquette. Le pied tendre y laissait sa vertu, le voleur de bétail y trouvait le repos éternel.
Les étiquettes Dymo étaient aussi un cruel et sournois marqueur statutaire dans cette communale où l’on portait encore la blouse longue en journée. L’étiquette bleu clair à ligne pré-marquée et remplie à la main était pour le vulgus pecum, le commun, le sans grade. L’étiquette Dymo plus forte qu’un abscons tatouage faisait rayonner le patronyme qu’elle gravait. Elle était la marque des seigneurs. De la cour de récré, certes, mais des seigneurs quand même.
Grâce à un long et éreintant travail de sape auprès des autorités patriarcales j’obtins après quelques années d’anonyme scolarité le Graal d’étiquettes Dymo réalisées à partir d’une machine probablement empruntée par les bras long de mon père auprès de quelque service administratif sur lequel il devait bien avoir autorité (il arriva même qu’il fut en capacité de me faire des photocopies, ce qui demeurait en ces temps surannés une prouesses proche de l’acheminement d’hommes sur la lune, mais ceci est une autre histoire).
Je me souviens de la bande noire qui avait comme avantage de nettement faire ressortir leur propos apposé et comme désavantage un criant manque de créativité. J’en fus pour mes frais comme je réclamais du rouge, du jaune ou du bleu. C’était du noir et c’était tout. Et la bande était comptée il ne fallait pas gaspiller. La faute coûtait très cher. Pour économiser le précieux plastique en rouleau « Histoire et Géographie » devenait « Hist. Geo. ». Oui, sans accent, il n’y avait que majuscules dans cet outil majestueux. On n’est pas au temps de l’informatique et du copier/coller mes jeunes amis aussi l’abréviation règne-t-elle en maître sur l’étiquette Dymo.
Si par malheur un malencontreux et machinal geste de décollement de l’un des coins de ladite étiquette venait à survenir, c’était le drame. La corner entraînait une marque blanche diagonale infamante. Il fallait rivaliser d’adresse en maniant le ciseau et faire disparaître la balafre. Une gageure. Et son remplacement par l’étiquette de papier aurait signifié bannissement, le goudron et les plumes.