[étufé ê péròkè] (loc. verb. SPA.)
Rassurons les amis des animaux : aucun cacatoés rosabin, aucun ara, aucun jaco, ni même aucun bavard impénitent n’a été blessé pour la mise au point de cette définition. Le langage suranné quand il fait dans l’image violente, ne joint jamais le geste à la parole.
C’est la couleur du plumage qu’il faut lire dans la partie animalière de l’expression que voici. Étouffer un perroquet n’est qu’un hommage au vert et un petit peu au verre, mais aucunement à l’asphyxie et à la rage. C’est parti pour une plongée dans le spiritueux le plus controversé : l’absinthe.
Alcool qui rend fou et criminel, qui fait de l’homme une bête et menace l’avenir de l’humanité selon les ligues de vertu jamais en retard d’une prophétie catastrophe, la dame verte fera l’objet d’une interdiction officielle de consommation en 1915 qui rendra, de fait, encore plus populaire étouffer un perroquet puisque l’expression agira alors comme un code inaccessible à la censure vertueuse et à ses cabales.
Car c’est de s’en jeter un godet derrière la cravate qu’il s’agit lorsqu’on l’emploie et qu’on se lance dans le rituel de préparation du breuvage. Le buveur d’absinthe n’est pas un vulgaire pochard : pas question de se biturer à la va-vite. Étouffer un perroquet suppose qu’on aura commencé par verser l’absinthe pure dans un verre spécifique, puis placé un sucre sur sa pelle à absinthe (une cuillère souvent joliment travaillée), puis versé de l’eau glacée au goutte à goutte pour diluer, et enfin boire le résultat.
Ne vous laissez pas abuser par les contrefacteurs du langage qui ont fait du perroquet un cocktail mélangeant pastis et sirop de menthe coloré. C’est bien un billet pour Charenton que compte prendre le buveur qui entend étouffer un perroquet, pas un Perniflard dilué au Teisseire, au Pagès ou à l’Antésite.
Parmi les célébrités qui aimaient étouffer un perroquet on compte Alfred Jarry, Van Gogh, Toulouse-Lautrec, Verlaine, Rimbaud, Baudelaire, Oscar Wilde, Edgar Allan Poe, Picasso, Hemingway et de là à penser que la fée verte pouvait les inspirer il n’y a qu’un pas que la lutte contre l’abus d’alcool nous empêche de franchir (mais ça fait tout de même une flopée de coïncidences géniales…).
Étouffer un perroquet mourut avec les artistes susnommés, ces derniers tombant dans une profonde désuétude mâtinée d’une triste exploitation moderne qui n’hésita pas à appliquer leur patronyme à des voitures, des barres d’immeubles, ou n’importe quel truc immonde à habiller de joliesse.
Sans même avoir à étouffer un perroquet on peut donc voir la vie en rose à la cité Van Gogh dans son Citroën Picasso. C’est bien là l’essentiel.