[ètr oz- abòné apsâ] (loc. verb. P&T)
Connaître les conditions exactes de naissance d’une expression est rare. Profitons-en.
Voici que s’exprime ici une quasi-officielle formulation de l’administration des P&T devenue en moins de temps qu’il ne faut pour la dire l’image préférée des Français surannés pour décrire le distrait, le tête en l’air ou même le disparu corps et âme.
Être aux abonnés absents arrive directement du temps du téléphone en bakélite, du cache téléphone en velours, du fil torsadé et du tutututututututututu. Une époque où joindre le 22 à Asnières ou Balzac 00 01¹ passe d’abord par une conversation avec une opératrice (rarement un opérateur) à qui l’on quémande l’acheminement vers le correspondant final.
Eh oui ami djeuns’, on est à des années lumières du contemporain smartphonisé « T’es où ? », « Attends je te rappelle », et l’idée même de la photographie instantanée surlignée d’un Smiley résumant un propos n’a pas encore germée.
L’abonné au service de téléphonie de l’administration des Postes et Télégraphes peut, lorsqu’il s’absente une quinzaine de jours pour un voyage transatlantique par exemple, se signaler après du service des abonnés absents.
Mademoiselle l’opératrice est ainsi en mesure de vous annoncer que Turbigo 22 22 est aux abonnés absents, et qu’elle ne sera pas en mesure de vous mettre en relation. Si vous avez un message important vous pouvez toujours lui adresser un petit bleu, mais rien ne vous garantit pour autant qu’il en lira le contenu.
Être aux abonnés absents se popularisera avec l’extension du réseau téléphonique et signera dans le langage toutes les formes de silence profond, de rêverie, d’injoignabilité. Autant de tares qui sont insupportables au moderne dont la principale qualité est d’être toujours accessible et de ne pas rêvasser. Ce pourquoi il sera décidé d’envoyer être aux abonnés absents au suranné.
L’invention du répondeur téléphonique à cassette (devenu entre temps lui aussi suranné), puis de la messagerie incluant une voix féminine précisant qu’elle nous transmettra au plus vite ce message vital sur le pain à rapporter ou sur la nécessité de se rappeler en laissant à notre tour un message dans une boite, entraînera la disparition définitive d’être aux abonnés absents.
Désormais, plus personne n’y est inscrit. Un grand bien puisque les rêveurs, les distraits, les têtes en l’air, n’ont rien à faire dans un monde rentable.