[ètr o pjès] (chi va piano va sano)
On n’entend plus guère en cette époque contemporaine les uns ou les autres maugréer pour une cadence trop rapide en invoquant le fait de ne pas être aux pièces.Non que le salariat forfaitisé ait ruiné l’expression en question, non que le Français d’aujourd’hui râle moins que ses ancêtres, non que quelques nouveaux principes du management aient renvoyé Frederick Winslow Taylor et sa double division du travail aux oubliettes, mais tout simplement a-t-elle filé en surannéité poussée par un slow (et malheureusement pas celui qui se dansait devenu lui aussi suranné mais ceci est une autre histoire je m’égare comme d’habitude), un slow disais-je qui jouxte désormais aimablement la city, le food, le travel et mille autres activités dans un éloge de la lenteur se voulant rébellion face à la vitesse nécessaire de toute activité moderne.
Ne pas être aux pièces ne se dit plus dans cette époque pressée d’arriver quelque part (mais où, le sait-elle au moins ?), c’est comme ça et puis c’est tout.
Dès 1986 (année surannée s’il en est puisqu’elle marqua entre autres le début de la fin de la déconnade avec la dernière pirouette de Coluche qui rencontra à la fois un accueil critique modéré et un putain de camion) Pierre Desproges, philosophe radiophonique rigolo, notait dans ses Chroniques de la haine ordinaire un aphorisme bien senti sur l’emballement exponentielle des ego surdimensionnés d’une génération à laquelle il m’incombe d’appartenir du fait de ma date de conception, et le bon homme le faisait avec un talent que je vous laisse contempler béatement :
“Il se dessine de façon tangible, dans votre génération qui monte, mon camarade, une espèce d’ambition glacée d’arriver par le fric et un mépris cynique de tous les idéaux assez peu compatible avec l’idée qu’on se fait de la jeunesse éternelle génératrice de fougues irréfléchies et de colères gratuites”
… nous disait-il alors. Et je vous vois béats (si si).
En d’autres mots le penseur nous avisait de ne pas être aux pièces pour ce qui est de celles qui soutiennent les arcs de triomphe sous peine de les prendre sur le groin un jour qui viendrait. Le bougre avait raison. Des hommes d’affaires pressés sont devenus ministres puis se sont empressés de filer à l’anglaise, des brailleurs enfermés sont devenus chanteurs massacrant en public les textes de leurs aînés, des gribouilleurs brouillons sont devenus artistes en revendant leurs fientes aux bestiaux de leurs foires. Tous voulaient aller vite et surtout tout bâcler parce qu’ils étaient aux pièces.
Ils ont tout fait foirer.
En bafouant les emballements bien nécessaires, en refusant de perdre leur temps en discussions interminables, et se montrant sérieux alors qu’il était l’heure de se gausser, ces types aux pièces n’ont réussi qu’à nous flinguer l’époque. Je leur en veux bigrement. Et surtout je m’en veux d’avoir voulu les imiter.
Désormais j’ai tout mon temps (enfin j’ai tout celui qui me reste). Hâtez-vous cependant car ça fait un moment que j’attends et le temps file je n’y peux pas grand chose. Même si je ne suis pas aux pièces.