[ètr â deòr dé klu] (gr. verb. ANAR.)
Selon l’article R. 411–15 du code de la route, tout conducteur est «tenu de céder le passage, au besoin en s’arrêtant, au piéton s’engageant régulièrement dans la traversée d’une chaussée ou manifestant clairement l’intention de le faire ».
En quelques mots, la loi promeut une certaine idée du chaos, de l’anarchie routière, puisqu’elle autorise chacun d’entre nous à être en dehors des clous. Ce qui demande explication.
Il nous faut remonter au début de notre ère, un peu avant 79 et l’éruption du Vésuve qui détruisit Pompéi, pour trouver trace de ce qui deviendrait les clous et permettrait donc à l’expression être en dehors des clous de prendre tout son sens. En ces années guillerettes de la Rome antique où l’on fête Bacchus à la maison de Méléagre, où l’on fricote au caldarium, et où l’on achète des plaisirs au coin de la ruelle du Balcon et de la ruelle du Lupanar, des passages surélevés permettent aux piétons de traverser la rue sans se faire emboutir par un char. À l’époque, être en dehors de ces passages peut vous coûter la vie car Ben Hur et confrères ont parfois du mal à arrêter leur char. Il en faut cependant beaucoup pour être en dehors des clous si l’on en croit certaines fresques pompéiennes, mais ceci est une autre histoire…
Il faudra patienter dix-neuf siècles avant que Lutèce, devenue Paris entre temps, daigne se pencher sur la question de ses piétons. De gros clous à tête plate de dix centimètres viennent se planter entre les pavés au début du XXᵉ siècle. Il dureront jusqu’au début des années soixante-dix, date à laquelle on juge plus prudent de répandre de l’asphalte sur les chaussées, l’étudiant de la Sorbonne étant atteint d’une version nouvelle de Gilles de la Tourette qui consiste à balancer du pavé en tançant les Compagnies Républicaines de Sécurité d’appartenir à la Waffen-SS, ce qui est considéré comme être en dehors des clous à cette époque.
Ces clous à facettes plantés dans le sol parisien feront la renommée des Établissements Paulet du Chambon-Feugerolle, cette fabrique de boulons créée en 1875 par Jules Paulet puis reprise par son fils Auguste, ingénieur des Arts et Métiers et patron éclairé, parfois en dehors des clous pour le plus grand bien de ses salariés. Leur reflet embrumé donnera quelques photographies romantiques et une aura inégalable à la ville lumière qui attirera ainsi jusqu’à aujourd’hui les amoureux du monde entier, bien déçus j’imagine de se retrouver désormais confrontés à des bandes rectangulaires blanches parallèles à l’axe de la chaussée, d’une longueur de 2,50 mètres et d’une largeur de 0,50 mètre (avec bien entendu une interdistance réglementaire de 0,50 mètre à 0,80 mètre) plutôt qu’aux fameux clous des Établissements Paulet¹.
La généralisation de ces glissants passages zébrés sur les avenues et boulevards de toutes les villes de France poussera au clou être en dehors des clous. Elle annihilera même toute idée subversive, être en dehors des clous n’étant techniquement plus possible.
Seuls quelques vicieux surannés entreverront dans la lecture de l’article R. 411–15 du code de la route l’occasion d’être en dehors des clous une dernière fois; cela dit si c’est pour y être en toute légalité je n’en vois pas vraiment l’intérêt.