Être comme une poule qui a trouvé un couteau [ɛtʁ kɔm yn pul ki a tʁuv œ̃ kuto]

Être comme une poule qui a trouvé un couteau

Fig. A. Poule trouvant un couteau.

[ɛtʁ kɔm yn pul ki a tʁuv œ̃ kuto] (LOC. GALLIN. PERPLEX.)

D’aucuns pensent que le désarroi a toujours eu une certaine noblesse tragique, entre la stupeur d’Hamlet contemplant le crâne de Yorick et le désespoir des amants contrariés dans les grandes fresques romantiques.

Mais la langue surannée, plus terre-à-terre, préfère une image autrement plus prosaïque pour illustrer la perplexité : être comme une poule qui a trouvé un couteau.

On conviendra aisément que la bestiole n’a jamais brillé par son sens pratique. Courageuse mais pas téméraire, déterminée mais peu inventive, elle mène son existence en grattant la terre et en picorant ce qui se présente sans trop se poser de questions. 

Or, voilà qu’un couteau, objet aussi métallique qu’incongru dans sa basse-cour, vient bouleverser ce fragile équilibre. Qu’est-ce qu’une volaille pourrait bien tirer d’un couteau ? La voici donc plantée devant, penchant la tête de droite à gauche, clignant des yeux dans l’espoir qu’une illumination lui vienne. Le gallinacé se fige, médusé, face à l’incongruité de l’objet. Rien n’a préparé la poule à une telle confrontation, et elle se retrouve là, absurde et démunie face à l’énigme posée par ce bout d’acier inerte.

Rien n’a préparé la poule à une telle confrontation

Serait-elle tombée sur un couteau sans lame auquel manque le manche qu’elle n’en aurait pas paru moins circonspecte.

Le bon peuple qui a toujours su saisir la beauté des métaphores rurales, a vite fait d’être comme une poule qui a trouvé un couteau une expression un tantinet vacharde pour désigner l’individu qui se retrouve face à une situation incompréhensible (pour lui) et ne sait quelle attitude adopter. Pour décrire cette tergiversation entre le trouble et l’incompréhension, entre le mutisme et l’ébahissement, entre l’inaction prudente et la curiosité qui pourrait s’avérer désastreuse.

Ainsi le candidat au bachot en charge de disserter sur la production soviétique de blé entre 1920 et 1935 est-il comme une poule qui a trouvé un couteau, Miss Camping questionnée sur la marche du monde est-elle comme une poule qui a trouvé un couteau. Et n’importe quel natif du XXᵉ siècle est comme une poule qui a trouvé un couteau lorsqu’il est question de connexion d’appareils électronico-modernes via des ondes mystérieuses aux noms singuliers¹.

Être comme une poule qui a trouvé un couteau implique en sus pour l’ébaubi un certain langage corporel : le dodelinement pantois, un regard sans lueur, une béatitude buccale et une moue lippue. De là à le faire passer pour le ravi de la crèche il n’y a qu’un pas que chacun est prestement invité à sauter.

Si l’expression demeure encore dans quelques campagnes, elle est aujourd’hui menacée par une urbanité qui ne comprend plus pourquoi la poule trouverait un couteau. Car la basse-cour s’est raréfiée, et le couteau ne sert plus qu’à tartiner des avocats bio.

On dira désormais « être en PLS » ou « buguer sévère », des formules qui prouvent que le moderne est devant les bons mots tel une cocotte devant un couteau. Démuni.

¹WiFi, Bluetooth et autres USB.

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