[ètre pri pur ên- amérikê] (loc. verb. CAPITAL.)
Depuis que tonton Cristóbal est revenu plein aux as des Amériques en 1493, après avoir indexé le taux de change de l’or sur celui de la verroterie selon un savant calcul lui permettant de s’en mettre plein les fouilles (car après tout ce ne sont pas des sauvages en pagne qui vont se mettre à nous causer gros sous), l’habitant des lointaines terres de l’ouest passe pour un nabab de naissance qui n’aurait rien d’autre à faire que partager son immense fortune, éventuellement sous la contrainte.
Ce malentendu originel s’installera dans la langue française selon la désormais surannée expression être pris pour un Américain. Explications.
Comme précisé ci-dessus l’Américain est riche.
Qu’il soit du Sud où il est riche parce que le père Colomb et ses compères ont fait miroiter le mythe de l’El Dorado histoire de ne pas passer pour des pignoufs partis courir la gueuse à l’autre bout du monde, qu’il soit du Nord parce que la pétrole jaillit dès qu’il creuse un trou dans lequel il espérait trouver de l’or, l’Américain est riche.
C’est là un postulat des années surannées.
Doté par ailleurs d’une certaine naïveté que l’invention du capitalisme débridé n’aura paradoxalement pas mise au niveau de la roublardise du vendeur de babioles des puces de Clignancourt, l’Américain se verra indiquer par tout marchand de quoi que ce soit des prix à la mesure de sa fortune supposée.
On dira dès lors qu’il est pris pour un Américain.
5 000 francs¹ pour ton tapis, tu me prends pour un Américain ?
Par extrapolation d’usage, le marchand susnommé et ses confrères en détail, gros, demi-gros de tout et n’importe quoi n’hésitant pas à proposer aux ressortissants de toutes nationalités, française comprise, une étourdissante valse des étiquettes, être pris pour un Américain étendra son rayon d’influence pour aboutir à caractériser la propension à faire la culbute tout en se moquant du client.
Le célèbre et lui aussi suranné vendeur de tapis du souk de Marrakech ou du boulevard Barbès, se verra malgré lui le symbolique porteur de cet atavisme commercial et permettra de diffuser avec bonheur dans toutes les couches de la société être pris pour un Américain, au point où la phrase sera systématiquement prononcée pour attaquer le marchandage suite à l’annonce de son premier prix.
Exemple : « 5 000 francs¹ pour ton tapis, tu me prends pour un Américain ? ».
Le1er janvier 2002 l’expression disparaît, interdite par décret².
L’arrivée de l’euro dans tous les porte-monnaie bouleverse tous les repères, le petit noir au zinc passant sans sourciller de 2 francs à 2 euros, le litre d’essence aboutissant à ce qui aurait fait 10 francs quelques années plus tôt, et la moindre masure avec ses 150 000 euros tentant de faire oublier que c’est tout comme 1 million de francs.
Oui, à compter de cette date, les Français dans leur ensemble sont pris pour des Américains par tout ce qui tient commerce; mais l’expression ne pouvant plus être utilisée ça finit par passer.
Être pris pour un Américain finira où elle a commencé : aux puces, royaume des choses surannées. Elle s’y sent même très bien.