[ètre pri pur û Zâbô] (loc. mensong. ChARCUT.)
Si l’on en croit l’adage vraisemblablement imaginé par un charcutier commerçant, dans le cochon tout est bon. Donc le jambon l’est. Bon.
Pour autant, être pris pour un jambon n’est pas très agréable. Même quand on est un gros cochon. Et pour cause : être pris pour un jambon consistant à se faire enfumer (après salaison et séchage) comme les abattis du porc occis, la situation ne prête guère à l’envi.
L’enfumage s’entend évidemment au sens figuré pour la belle langue surannée, et c’est d’escobarderie et de supercherie qu’il s’agit avant tout.
Notons que, paradoxalement, celui qui est pris pour un jambon l’est aussi pour un pigeon, un lapin de six semaines, une buse, voire un canard sauvage s’il est enfant du bon dieu, mais nullement pour un goret (ce dernier étant l’allégorie de la saleté et non de la bêtise). Une bizarrerie de la syntaxe a priori mais surtout une logique implacable quand on sait combien le cochon est un animal intelligent qu’il ne faut pas prendre pour une truffe.
À l’usage, l’expression fait souvent l’objet d’un questionnement à l’endroit d’un interlocuteur un peu rapide en conclusions. « Tu me prends pour un jambon ? » est dans ce cas destinée à marquer une lucidité quant à ses véritables intentions, bien éloignées du propos relaté.
Être pris pour un jambon est d’ailleurs la réponse idéale à quelqu’un cherchant à ripoliner la façade d’une sombre entreprise. Son utilisation indique de façon polie et précautionneuse qu’on n’entend pas être confondu avec la première cloche du village venue et in petto tout gober.
Au pays de la charcuterie et des avions renifleurs¹, être pris pour un jambon ne pouvait que s’épanouir.
Pourtant, lors de l’été 1998, être pris pour un jambon va tomber de haut. Les explications abracadabrantesques de cyclistes du Tour de France pris par la patrouille la seringue plantée dans le fondement « à leur insu », font spontanément créer à la langue joueuse « à l’insu de mon plein gré » comme ultime degré de l’excuse. Être pris pour un jambon ne parvient même pas à s’y opposer, elle qui croyait avoir tout entendu depuis « responsable mais pas coupable ».
Elle ne s’en remettra pas et tombera en surannéité dans la foulée, laissant le champ libre à cette juxtaposition de locutions préposives antagonistes, moderne et pourtant délicieuse. Une créativité linguistique qui confirme qu’avec un peu de n’importe quoi et de foutage de gueule tout passe, et c’est bien là l’essentiel.