[ètre sapé kòm û milòr] (loc. élég. MOD.)
C‘est certainement parce que l’on doit aux îliens Grands-Bretons une partie de l’expression étudiée en cette définition qu’elle charrie à la fois respect et once de dédain.
Milord, sans qui être sapé comme un milord n’aurait pas toute sa subtilité, est initialement réservé aux lords ou seigneurs mais néanmoins sujets de sa gracieuse majesté d’outre-manche. Un titre honorifique qui fait se bomber le torse du bonhomme qui en est affublé et qui adore qu’on lui balance du milord en lui parlant à la troisième personne.
Le reste de l’expression n’emprunte rien à la pairie d’Angleterre, être sapé s’avérant du bon parlé populaire bien de chez nous comme on l’aime dans les faubourgs.
Être sapé comme un milord sous entend donc à la fois une forme d’admiration pour l’habit élégant façon Savile Row, une richesse de l’étoffe – et concomitamment de son porteur – une fois qu’elle aura été ajustée à ses mesures les plus intimes, et un brin d’ostentation dans l’attitude qui ne confine pas encore au bling-bling puisque dans les années surannées ce qualificatif n’existe pas.
La locution est donc complexe à utiliser comme un verbe irrégulier à apprendre par cœur pour lundi prochain.
Être sapé comme un milord se joue évidemment au détail
Elle va pourtant connaître une très belle trajectoire au cours d’époques où le nœud de cravate a un sens selon qu’il est Windsor, half Windsor, Pratt Shelby, four-in-hand, atlantique, Onassis ou italien, et où les Richelieu se travaillent à la cire et à la salive pour assurer le glaçage. Être sapé comme un milord se joue évidemment au détail.
C’est une autre dénomination en angliche qui va envoyer être sapé comme un milord en surannéité : baggy.
Du nom d’un jeans extra large porté dans un film par une soudeuse ayant décidé de changer sa vie en dansant sur une chanson d’Irene Cara¹, récupéré dans la foulée par tout ce que le South Bronx compte de réfractaires à l’habit trop rigide, smurf attitude oblige, le baggy va bouter milord hors du jeu.
Promouvant une forme nettement plus moderne de l’élégance (bien que sans forme réelle, mais ceci est une autre histoire) ce pantalon va causer à lui seul la disparition d’être sapé comme un milord.
Sa crédibilité de la rue² en jeu, le maquereau ne se pavane plus en complet-veston à fines rayures et manteau d’alpaga blanc négligemment jeté sur les épaules, et son pendant de la maréchaussée s’est vu dégarni de son hiératique képi pour une casquette de base-ball, signe qu’être sapé comme un milord n’est même plus d’actualité pour les autorités.
Allez venez, milord, vous avez l’air d’un môme, laissez-vous faire, milord, venez dans mon royaume, lui chantent toutes les autres expressions surannées. Alors milord y va.