[ètr ûn- uvraZ de pêtr] (loc. artist. PICTU.)
Des grottes dordognaises aux murs des palais en passant par les plafonds des chapelles consacrées, le peintre a fourbi ses doigts, ses pinceaux, ses couteaux, pour rendre compte avec tout son talent des rêves et vicissitudes des années surannées.
C’est là une version officielle définissant un ouvrage de peintre, louant la justesse du trait et l’harmonie des couleurs, l’audace d’un clair obscur ou le génie du blanc sur blanc. Pour la langue surannée c’est une toute autre histoire. Éloignée des lieux communs, elle utilise l’expression être un ouvrage de peintre pour décrire ce qui est beau de loin et laid de près (le pied de nez que voilà).
C’est un ouvrage de peintre à propos de n’importe laquelle des réalisations dominicales d’un artiste du jour dit s’avèrera donc plus ironique qu’élogieux : tenez-en compte avant de remercier chaleureusement votre interlocuteur avec ces mots. De même, ne signez le livre d’or d’une cimaise à la mode d’un enthousiaste « quel ouvrage de peintre ! » que si vous en maîtrisez la finesse caustique (dans le cas contraire, contentez-vous d’un classique « quelle émotion ! » ou d’un flatteur « époustouflant » qui ne feront l’objet d’aucune ambiguïté).
Il est évident qu’être un ouvrage de peintre s’est construite sur les barbouilles façon Grand Maître de piètres arpettes et non sur le travail des doués du pinceau. C’est un ouvrage de peintre fut créée pour remettre à sa place le plagiaire imbu de sa personne et fier de son format Petit Jésus bariolé d’une aube naissante à ne pas contempler de trop près ou de son cadre 6F à la toile souillée d’un portrait oublieux d’une mouche ou d’une mèche, ce petit détail qui change tout.
Être un ouvrage de peintre est un défi à l’à-peu-près, au torché, au bâclé.
C’est le bit moderne qui va faire d’être un ouvrage de peintre une locution désuète.
Alors qu’aucun impressionniste, cubiste, orientaliste ou surréaliste n’avait jamais peint avec son bit (tout juste compte-t-on Joachim-Raphaël Boronali qui le fit avec sa queue, mais ceci est une autre histoire), le contemporain informatisé va s’en donner à cœur joie, badigeonnant tout ce qu’il peut de son grossier pixel (0,66 × 0,66 millimètres sur un écran VGA). Impossible dès lors de s’approcher trop près de son œuvre au risque d’y apercevoir une insondable laideur¹.
Être un ouvrage de peintre, susceptible de révéler la supercherie, va donc être repoussée en surannéité. On est prié de regarder de loin et de trouver ça beau; l’époque ne fait pas dans le détail.