[ɛtʁ œ̃ pisɛtʁwaɡut] (loc. piss. ART.)
Le petit bras n’était pas le bienvenu au temps du suranné qui savait lui faire savoir, par exemple avec baisse la tête t’auras l’air d’un coureur, qu’il était attendu de sa part un peu plus de sueur dans l’effort.
Ce regrattier du labeur qui faisait dans la besogne sans se fatiguer était alors désigné comme un pisse-trois-gouttes dans quatre pots de chambre, la formule verbale devenant par commodité être un pisse-trois-gouttes.
Être un pisse-trois-gouttes c’est se comporter en laborieux dont il ne faut pas attendre plus que le minimum, ce qui n’en fait pas un cossard mais juste un timoré sans envergure. Le pisse-trois-gouttes fait dans le vice caché puisque somme toute il pisse, de la copie souvent, pas du chef-d’œuvre, et c’est comme une bassesse. Avec un tant soit peu d’efforts il pourrait balancer de grands jets, en décorer les murs, mais il a renoncé : c’est ça être un pisse-trois-gouttes. Quelqu’un de peu. Un peine-à-jouir pourrait-on dire en se trompant de fluide.
Le pisse-trois-gouttes fait dans le vice caché
L’origine d’être un pisse-trois-gouttes fait se quereller les chercheurs depuis toujours autour d’un homme et de son œuvre : Marcel Duchamp.
Il est très probable que la première mention de pisse-trois-gouttes lui ait été adressée par un critique devant son Fountain, urinoir en porcelaine renversé signé « R. Mutt », premier ready-made refusé par la Society of Independant Artists de New York et exposé dans la galerie 291 d’Alfred Stieglitz en avril 1917.
On comprend aisément que le travail provocateur de Duchamp ayant consisté à acheter une pissotière au rayon sanitaire de chez J. L. Mott Iron Works et à l’exposer à l’envers ait pu le faire passer pour un tire-au-flanc sans envergure et qu’être un pisse-trois-gouttes se soit imposée d’elle-même. L’objet de la discorde magnifie même l’expression; il n’en aurait pas été de même avec une machine à hot-dog ou un aspirateur¹.
Le scandale qui suivra et le débat toujours vif sur l’art de l’idée seront tels qu’ils assureront le succès d’être un pisse-trois-gouttes. Pendant près de soixante dix ans, être un pisse-trois-gouttes trouvera son public.
En 1986, une reproduction à l’identique du premier Fountain (perdu on ne sait où) est achetée par le Centre Pompidou pour la bagatelle d’un million trois cents mille francs².
Avec un tel investissement, l’État français ne peut plus tolérer que soit utilisée être un pisse-trois-gouttes, il en va de l’économie nationale désormais. Et de la culture.
L’expression disparaît, officiellement bannie en surannéité par une circulaire de gratte-papier ministériel qu’elle aurait certainement défini à la perfection.
Le petit-bras a le champ libre : il va pouvoir conquérir la modernité avec son ambition raisonnable. Le fantasque, le passionné, l’extravagant et le marin du port d’Amsterdam sont tous priés de cesser de pisser comme d’aucuns pleurent sur les femmes infidèles, ça en met partout et ça fait désordre.