[fɛʁ dyn ʁoz œ̃n- aʁtiʃo] (loc. hortic. ART.)
Après s’être heurtés pendant des siècles à la mesure du beau et du laid dans l’art et à la difficulté de réfuter les élucubrations enthousiastes d’un barbouilleur anonyme ou d’un maître auréolé de sa réputation, les hommes au bon sens suranné ont choisi le domaine horticole pour établir une échelle du loupé.Grâce à faire d’une rose un artichaut, il est devenu aisé de qualifier l’échec pictural dominical, le fiasco du geste qui se pensait auguste, la croûte qui un instant prétendit au chef-d’œuvre. Car l’expression est irréfutable, chacun ayant pu mesurer la délicatesse de l’une et la balourdise de l’autre, bien que Rosa et Cynara cardunculus prétendent tous deux au même hommage à la lumière en tendant leurs feuilles à la forme presque similaire vers le soleil.
Faire d’une rose un artichaut est à son origine une expression de courtisan désirant conserver les faveurs d’un puissant désespéré devant le rendu pourtant fidèle de son portrait sur une toile¹. N’osant pas un sincère éloge de la maîtrise de l’artiste pour avoir su rendre la disgrâce de traits et d’attitude d’un prince, le fleure-fesse préféra charger le réaliste d’incapacité et trouva en faire d’une rose un artichaut la flatterie nécessaire à son maintien en cour.
Une expression de courtisan
Remercions en ces lignes l’esprit du flagorneur – la chose est rare – pour avoir imaginé la chose.
Petit à petit, faire d’une rose un artichaut s’appliqua à la bérézina d’un paysage qui ne demandait surtout pas à finir interprété au pinceau ou au couteau, à la déconfiture d’un marbre martyrisé par un burin manié par un bourrin, à un flou prétendument artistique masquant surtout une supercherie en tirage limité sur papier glacé.
Confondu subtilement par les bractées de l’involucre verdâtres et rugueuses de l’artichaut, l’auteur du ratage était appelé à remballer son chevalet et à reprendre ses gammes.
Notons que Giuseppe Arcimboldo tenta d’inverser le sens de la locution mais ses cauchemardesques et talentueuses Saisons (L’Été comprend un artichaut) ne parvinrent pas à faire éclore faire d’un artichaut une rose, malgré tout son génie.
Faire d’une rose un artichaut perdura jusqu’en 1990, date à laquelle paraît Photoshop®, logiciel de retouche d’image et de contrefaçon de la réalité permettant de faire de n’importe quoi une rose. Désireuse d’être admirée sous son meilleur profil, la modernité va rendre la beauté accessible à tous par le truchement de quelques astuces techniques et envoyer faire d’une rose un artichaut en surannéité.
Le portrait peu flatteur disparaît lui aussi, à l’exception notable de celui ornant sous forme de photographie réglementaire les papiers d’identité, puisqu’il est formellement interdit d’y sourire². Mais ceci est une autre histoire.