[fèr flanèl] (gr. verb. COMMERC.)
S‘il est un tissu suranné c’est assurément la flanelle. Ce coton peigné doux au toucher confectionne pantalons et chemises du meilleur goût pour les promenades sur la jetée en été et s’accommode parfaitement avec un Panama ou un canotier.
Mais la flanelle n’est pas que ce monde de douceur : elle sait aussi irriter lorsqu’accolée au verbe faire. Oui, faire flanelle énerve souvent, et plutôt le commerçant. Explications.
Si faire flanelle ne fait pas dans la dentelle, elle y a cependant débuté sa carrière d’expression. Du temps où les maisons closes portaient très mal leur nom puisqu’elle étaient ouvertes, on traitait de flanelle – au One Two Two ou aux Belles Poules – celui qui venait y flâner sans flamber, y tripoter la gueuse sans lâcher un kopeck. De ce bonhomme se contentant de reluquer et éventuellement de toucher sans jamais consommer il était convenu de dire qu’il passait pour faire flanelle.
Pas fondamentalement déplaisant mais pas bon pour le commerce néanmoins (n’oublions pas que les demoiselles présentes derrière les volets y faisaient commerce de leurs charmes), d’où l’agacement des marchandes.
Portée sur les fonts baptismaux par le développement de l’échoppe munie d’une vitrine séduisante et du léchage vitrier concomitant, faire flanelle trouva un superbe relai d’expression quotidien et désigna ainsi rapidement le fait d’entrer dans un magasin et d’en sortir sans avoir rien acheté (en ayant éventuellement fait déballer toute la marchandise au boutiquier).
Une fois les divers lupanars définitivement fermés, c’est-à-dire après le 13 avril 1946¹, faire flanelle ne s’applique plus qu’au commerce de détail et particulièrement à celui qui nécessite essayage : on fait très aisément flanelle chez le chausseur, n’hésitant pas à hésiter entre ce modèle rouge-en 38-mais-je-le-voudrais-en-bleu-en-37 et cet autre modèle tu-ne-trouves-pas-que-ça-me-fait-des-grands-pieds (mais c’est chez le vendeur de la petite robe noire que flanelle se fait le plus, les études sont formelles). Faire flanelle évolue à son aise dans le milieu où l’on taille l’étoffe, après tout quoi de plus légitime ?
Une simple petite lettre enverra faire flanelle en surannéité : e.
Préfixe préféré du moderne, e qu’il colle à toutes les sauces va bouleverser le commerce qui devient e-commerce. Ce petit e qui condense l’anglais electronic (le moderne adore l’anglais et le condensé car il est pressé) n’a pas besoin d’utiliser faire flanelle puisqu’il vend sur Internet et qu’il peut bien tout déballer (mieux encore, même si vous ne le lui demandez pas il déballera tout car il adore déballer, c’est son petit plaisir électronique).
Dans la boutique en ligne, pas question de faire flanelle : suggestions appuyées, meilleurs ventes à suivre impérativement, offres clignotantes à ne pas rater, ventes privées rien que pour VIP… L’achat est obligé. On n’est pas là pour faire flanelle, ou alors circulez !