
Fig. A. La nouba à Meudon.
[fɛʁ la nuba] (FEST. PATACH.)
Célébrer la vie, braver la nuit et défier l’aube. Voilà ce que signifie faire la nouba pour le noceur des années surannées. Un programme qui a la sonorité du jazz ou de la java, l’odeur enfumée des bouis-bouis interlopes, le goût d’une Suze ou d’un Ricmuche bien tassé.
Mais ne nous méprenons pas : faire la nouba n’a pas toujours rimé avec ivresse et patachon. Avant de désigner la bringue échevelée, la fête exubérante et la débauche joyeuse, la nouba était une chose très sérieuse.
Une origine militaire aux accents exotiques
À l’origine, la nouba appartient aux troupes disciplinées de l’armée française où elle désigne un rassemblement musical militaire, généralement exécuté par les régiments de tirailleurs algériens. Ce mot, venu de l’arabe nūba (نوبة), signifie « tour » et désigne le moment venu pour envoyer Les Canons du 68 ou La Marche du 1er Zouave.
Faire la nouba ce n’était pas encore finir en faisant les quatre coins de la rue au petit matin, mais plutôt marquer une pause rythmée dans la rigueur martiale. C’est ainsi que, dans l’Algérie coloniale, les fanfares soldatesques firent résonner leurs percussions et cuivres aux oreilles des troufions métropolitains, qui en revinrent avec un souvenir sonore et une locution toute prête à se glisser hors de l’argot des chambrées.
Il fallait juste attendre un peu pour que la nouba s’émancipe de la clique militaire et gagne les faubourgs où les ouvriers, les marlous et les titis parisiens en quête d’échappatoire vont s’en emparer. Progressivement, faire la nouba devient une manière imagée de dire qu’on célèbre sans retenue, que l’on festoie sans modération, que l’on boit, chante et danse en oubliant jusqu’à son nom sur le zinc d’un troquet enfumé.
La java de Meudon n’ayant cure de la rigueur militaire, la nouba change de tonalité. Exit la discipline et la marche au pas : faire la nouba devient le cri de ralliement des noceurs et des fêtards, de ceux qui veulent s’en jeter un petit derrière la cravate après une rude journée de boulot et qui ne s’encombrent pas d’un réveil difficile, de celles qui veulent danser quitte à rentrer les escarpins à la main. Quand on fait la nouba on fait péter la roteuse, on part en goguette avec des amis pour toujours dont on oubliera les prénoms une fois le soleil levé et on parle du Yang-Tsé-Kiang¹.
Faire la nouba rejoint faire la bamboche dans les bas-fonds de la jactance émoussée. La dissolution du 1er régiment de Zouaves, la fin de la conscription obligatoire, la prise en compte des méfaits de l’abus d’alcool et une inflation immodérée des tarifs auront eu conjointement raison de l’expression.
Ou peut-être les noceurs ployant un peu plus sous le joug des années l’auront-ils abandonnée.