[fèr le ɡè âtiaérjê] (loc. milit. SIEST.)
Quand il s’agit de glander tout en laissant penser qu’on est en pleine activité on peut compter sur le langage soldatesque suranné.
Plutôt que faire la sieste, pratique rigoureusement interdite par le règlement qui impose évidemment une vigilance permanente dès fois qu’il reviendrait à l’idée de ces féroces soldats de venir mugir dans les campagnes histoire d’égorger nos fils nos compagnes, plutôt qu’admettre cette faiblesse d’autant plus coupable qu’elle peut être crapuleuse, le troufion fatigué dira qu’il va faire le guet antiaérien.
Surveiller les cieux et y repérer les aéronefs ennemis suppose en effet de s’allonger sur le dos et de regarder là-haut si Manfred von Richthofen, le Baron rouge, ou l’un de ses belliqueux sbires n’y promène pas son triplan.
La position s’apparentant pour le péquin à celle du dormeur, faire le guet antiaérien va donc vite devenir synonyme légitime d’aller piquer un roupillon dans les fougères.
Bien que la première compagnie militaire d’aérostiers date de 1794 il faudra attendre 1909 pour que les galonnés décident de s’envoyer en l’air afin de s’étriper plus efficacement depuis des aéroplanes à moteur, voire, un peu plus tard, de larguer Little Boy sur Hiroshima afin d’étudier les effets de l’uranium 235 sur les êtres humains et leur cadre de vie.
L’on peut dès lors affirmer d’une part que faire le guet antiaérien date du XXe siècle et d’autre part qu’il ne sert à rien en cas de bombardement à la bombe atomique.
Malgré cette lacune tactique fondamentale la pratique de l’expression connaîtra un grand succès, le repos réparateur d’après déjeuner s’avérant largement pratiqué dans l’armée et la société civile, des bancs de la respectable Assemblée Nationale au plus humble des guichets des P&T (la conscription obligatoire pour tout jeune homme Français aidant notablement à sa diffusion).
À l’occasion, on notera des enrichissements de la formule tel « le canon est chargé, allons faire le guet antiaérien » ou encore « monte là-dessus tu verras Montmartre et ce sera plus pratique pour faire le guet antiaérien » mais leur complexité ne leur assurera pas de postérité.
Le remplacement progressif de l’homme par le radar dans la tâche de détection de l’ennemi volant aura raison de la méridienne pourtant méritée.
Surpassée par les ondes électromagnétiques, faire le guet antiaérien deviendra d’autant plus surannée qu’une nouvelle organisation du travail bannira le repos compensateur, cantonnant la sieste à une activité estivale toujours opportunément bercée par les commentaires journalistiques sur les forçats de la route gravissant les vingt-et-un lacets de l’Alpe d’Huez ou par le chant des cigales, mais ceci est une autre histoire.