
Fig. A. Loufiat et limonade.
[fɛʁ muse la limonad] (loc. bistr. BOISS.)
Dans la vie il est des choses qu’on ne peut pas forcer, c’est ainsi. Sauf à passer pour un hardi.
Et si malgré tout le zigoto se met au boulot, la langue surannée va vite le tancer pour faire mousser la limonade.
La légèreté gazeuse qui chapeaute le breuvage sucré et acidulé est en effet avant tout une affaire d’effervescence naturelle : une rencontre entre bulles et fraîcheur qui se fait sans forcer. À la terrasse du bistrot, dans la lumière dorée d’un après-midi d’été, le loufiat sert le verre et la mousse se forme seule, aérienne, éphémère et délicate. Le limonadier qui a déroulé du câble le sait bien : il n’a nul besoin de remuer le poignet comme s’il faisait sa petite lessive à la main, on n’est pas chez Orangina !
Mais il est toujours des âmes qui veulent forcer la nature, qui pensent que plus ça mousse mieux c’est, qui secouent la bouteille comme ils brassent leurs idées de génie et finissent imbibés telle une miss camping lors d’une soirée tee-shirt mouillé.
Faire mousser la limonade, c’est un art
Faire mousser la limonade c’est donner dans l’art de la surenchère verbale, de l’esbroufe assumée, du battage exagéré pour conférer du crédit à un fait anodin. C’est quand l’innocente anecdote devient épopée chevaleresque, quand le pétard mouillé se mue en explosion nucléaire, quand le quidam ordinaire se réinvente en héros national, quand le camelot de boulevard s’estime biffin prodige des puces.
Pour faire mousser la limonade, il faut bénéficier d’un certain bagout, d’un talent pour la digression grandiloquente, et de cette faculté rare de toujours poser son verre de manière ostentatoire après une tirade à rallonge. La mousse se forme alors dans la bouche avant de couler dans le gosier de l’auditoire médusé.
Le faiseur de mousse se croise chez le camelot qui vend une peau de chamois nettoyant les meubles et les péchés, chez le jeune cadre dynamique contant son séminaire professionnel dans la banlieue de Saint-Etienne comme un sommet de la pensée entrepreneuriale, chez la vedette sur le retour confessant – mâtine – refuser des rôles majeurs pour ne pas trahir son intégrité artistique.
La mousse, la vraie, s’est envolée avec le dernier bistrotier qui savait verser sans débordement et raconter des histoires sans fioriture. C’est désormais un barman top modèle tatoué comme un Apache qui rince le gosier de l’assoiffé. Et celui qui veut vraiment se jeter une Elixia derrière le col la commandera sur les internettes, pas en terrasse (c’est comme ça la modernité).