[fèr péjé le lâpist] (loc. verb. BANQ.)
C‘est à Lascaux que s’est constitué pour la première fois dans l’histoire de l’humanité le fait de confier aux supposés les moins doués le rôle d’entretenir les lampes à huile chargées d’éclairer la tâche des dominants.
Tandis que les maîtres apposaient leurs mains trempées dans la couleur sur les parois des grottes ou y traçaient des mammouths, les subalternes enflammaient la graisse qui apportait sa touche claire obscure à leur art. Et déjà, quand la courbe de la bestiole était manquée, on faisait payer le lampiste en le jetant aux goraks (ou tigres à dents de sabre¹) sous prétexte qu’il avait mal éclairé la paroi.
Il faudra bien entendu attendre encore un peu pour que l’expression faire payer le lampiste prenne corps, l’homme du néolithique ne possédant pas toute la subtilité langagière nécessaire à exprimer qu’il faisait porter la faute d’un puissant sur un subalterne ayant la mauvaise idée de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.
Faire payer le lampiste surgit en bonne et due forme dans le langage au cours du mois de juillet 1827, peu après l’ouverture de la première ligne de chemin de fer qui va de Saint-Étienne à Andrézieux. Suite à un problème de livraison d’un chargement de plusieurs tonnes de charbon, aucun des administrateurs en poste² ne sera inquiété mais l’employé en charge de l’allumage et de l’entretien des lampes du train – le lampiste – sera congédié illico. L’histoire ne retiendra d’ailleurs ni son nom ni l’incident dont nous vous révélons ici l’existence.
La ruse pourtant grossière passant comme une lettre à la Poste, il est décidé que dorénavant on fera payer le lampiste pour toute erreur commise par qui que ce soit, et ce sans autre forme de débat.
Faire payer le lampiste connaîtra ainsi ses heures de gloire : les bourdes commises à l’insu du plein gré de quelque pisse-vinaigre ou les responsabilités-mais-pas-culpabilités de décideurs ne manquant pas, le lampiste paiera plus d’une fois.
C‘est le progrès du chemin de fer qui enverra faire payer le lampiste en surannéité.
L’avénement du Train à Grande Vitesse qui circule à plus de 300 km/h, interdisant qu’un lampiste siège sur un essieu arrière pour veiller à l’allumage des lampes, lui portera un coup sérieux en 1981. La fermeture des Charbonnages de France, grands employeurs de lampistes, en 2007 clora l’affaire.
Juste à temps pour que lors de la crise financière de janvier 2008, une grande banque ne puisse être accusée de faire payer le lampiste en chargeant l’un de ses employés d’une perte de près de cinq milliards d’euros, ce qui par conséquent constituera juste une autre histoire.