[fèr plëré marɡo] (loc. verb. SNIF.)
Ils ont osé ! Oui, certains on cru malin de laisser croire que faire pleurer Margot était un synonyme féminin de faire pleurer le colosse.
Qu’ils soient bannis des temps surannés, les coquins !
Certes, nous pourrions leur accorder le bénéfice du doute tant les deux expressions sont larmoyantes l’une comme l’autre, mais si Popaul est toujours considéré par la gent masculine comme un fier malabar qui ne saurait verser une larme autrement que pour soulager son trop-plein de houblon fermenté, rien dans la langue ne fait de Margot quoi que ce soit d’autre qu’un prénom à part entière (ou un diminutif de Marguerite, ce qui aboutit toujours à prénommer).
Vouloir faire porter à faire pleurer Margot un autre sens que celui de susciter une pitié éplorée est un acte malveillant. Soulignons cependant que faire pleurer Margot décrit bien souvent aussi un acte malveillant, l’expression cachant derrière le doux prénom un sarcasme certain, destiné à pointer l’ithos et le pathos d’un récit.
Entre la chronique dramatique et la volonté de faire pleurer Margot il n’y a que l’épaisseur de la décence.
Les larmes valent leur pesant d’or
On dira par exemple de la une d’une gazette sur un terrible fait divers avec moult détails sur le calvaire subi par la victime étripée avec son chiot et son chaton, orphelins tout comme elle que la pauvresse avait recueillis quelques jours avant le drame en sortant de l’usine de produits chimiques avariés où elle est exploitée dix heures par jour, qu’elle vise à faire pleurer Margot, autrement dit à émouvoir le lecteur pour qu’il s’empresse d’acheter le journal racontar afin d’en apprécier les commérages.
A contrario on ne saurait utiliser faire pleurer Margot pour caractériser l’expression d’un homme s’étant coupé l’index avec le rabat d’une enveloppe, l’extrême douleur étant bien réelle dans ce cas.
Il s’avère que faire pleurer Margot cache souvent une ficelle grossière : celle des gros sous. Les larmes valent leur pesant d’or.
Il ne pouvait donc être question pour toute l’industrie moderne du chagrin (celle des reportages télévisés avec concerto pour violons et contrebasse, celle de la presse des malheurs de la notoriété¹, etc.) de laisser perdurer dans la langue cette faire pleurer Margot susceptible de tuer la poule aux œufs d’or.
Après avoir fait disparaître les pleureuses et crieuses d’enterrement (circa 1960) dont le professionnalisme flagrant finissait par ternir la sincérité du chagrin et éventer la ruse, il est décidé par les marchands d’émotion de rendre la moqueuse faire pleurer Margot désuète.
C’est chose faite. Vous pouvez envoyer les violons.
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