[fèr réSofé le pòtaZ] (loc. imag. POISS-AVR.)
Il est rare que les savants s’affrontent aussi violemment sur la question du sens d’une expression surannée que ce qu’ils ont pu le faire dans la cas de faire réchauffer le potage.
Roger Gicquel avait même parlé à l’époque de la « Bataille du potage » comme de la nouvelle Bataille d’Hernani.
Trois écoles défendant bec et ongles trois thèses différentes se sont donc opposées durant de long mois pour déterminer qui l’emporterait sur la signification de faire réchauffer le potage, expression utilisée par les uns et les autres dans des cas différents.
Les premiers appartenaient à l’école dite « des vieux pots », celle dans laquelle on fait les meilleures soupes.
Selon ceux que leurs détracteurs qualifiaient de vieux libidineux, faire réchauffer le potage signifiait présenter ses hommages à une vieille copine du genre de Madame la marquise parce qu’il n’y avait pas mieux à se mettre sous la dent. Un synonyme de faute de grives on mange des merles en quelque sorte, à la limite du mépris pour celle qui était désignée comme potage.
Le débat pouvait compter sur les médecins qui prétendaient haut et fort que faire réchauffer le potage était un geste technique consistant à vider une poche urinaire, acte complexe s’il en est et fort déplaisant quand il est mal réalisé. Les nombreuses images ragoûtantes du langage carabin plaidaient évidemment en faveur de cette explication jusqu’à ce que les chefs étoilés et les mitrons du quotidien ne fassent entendre leur voix.
Pour ceux là, faire réchauffer le potage consistait simplement à faire réchauffer le potage; ils n’en démordaient pas et étaient prêts à en venir aux mains avec quiconque prétendait autre chose.
Malgré leurs dissensions profondes, tous étaient d’accord pour admettre que faire réchauffer le potage était antérieur à envoyer la purée, ce en quoi ils se fourvoyaient copieusement, conférant de concert à la patate écrasée un sens dissolu qui n’était pas de mise.
La querelle ne fut jamais éteinte et c’est le seul dépérissement de l’intérêt porté au potage dans les agapes modernes qui l’enterra.
Les grands slurp accompagnés du conseil paternel bienveillant de souffler sur le contenu de sa cuillère à soupe pour ne pas abîmer l’émail de ses dents disparurent en même temps que faire réchauffer le potage, selon toute vraisemblance vers 1982, chacun demeurant libre de lui donner le sens qu’il souhaitait.